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Meurtre dans un jardin anglais (1982)
de Peter Greenaway
publié le mercredi 30 novembre 2022

par Henri Welsh
Jeune Cinéma n°158, avril 1984

Sélection ofiicielle en compétition à la Mostra de Venise 1982

Sorties le mercredis 15 février 1984 et 30 novembre 2022.


 


À Athènes existaient des fêtes réservées aux femmes mariées : les Thesmophories. Ces fêtes duraient trois jours en octobre et étaient dédiées à Demeter et Perséphone. L’un des rites qui y étaient pratiqués consistait à retirer de fosses des restes putréfiés de porcelets, offerts en sacrifice à Demeter, pour les mélanger aux semences afin de fertiliser la terre. Il semble que ces rites avaient comme but de préserver la fécondité des femmes et la fertilité de la terre.


 


 

Le mythe de Perséphone, associée à sa mère, survit, et il est évoqué par deux fois de manière explicite dans le film de Peter Greenaway. Par ailleurs, toute une série d’indications horticoles nous renvoient à la fertilité, la fécondité des sols. Le couple formé par Mrs Herbert, la mère, et Mrs Tallman, la fille, reprend la figure du couple des deux déesses. Et nous assistons bien à un rituel dans ce film où chaque élément du discours, chaque détail du décor semble établi en fonction d’une certaine cérémonie.


 


 

Si, en paiement de son travail, Mr Neville, un dessinateur, reçoit son salaire, il a en plus, par contrat, la possibilité de satisfaire ses besoins sexuels avec la maîtresse de céans. Son travail du reste est réglé comme une partition d’orchestre : il accomplira douze (plus un) dessins du domaine des Herbert, par série de deux fois six tableaux (plus un). Pour cela, l’ordonnancement des lieux doit absolument être préservé et répété chaque fois que cela sera nécessaire. De telle heure à telle heure, le dessinateur se trouvera en un endroit, puis un autre, etc. La partition même du film répond à ce souci de ponctualité puisqu’à chaque réalisation d’un dessin correspond une pièce de musique différente. L’ensemble de la musique par ailleurs fait le contrepoint de ce drame.


 


 

En effet, le dessinateur, dont l’orgueil est de parvenir à l’exactitude la plus parfaite, inclut peu à peu de drôles d’éléments dans ces dessins, qui s’avéreront être autant d’indices sur un mystère : celui de la disparition du maître des lieux. Jusqu’à ce que l’on retrouve son cadavre dans un bassin du jardin. Le cercle est fermé, le mort ne laisse de traces que sur les dessins de Neville qui se voit soupçonné. Il achète le silence de Mrs Tallman en accédant à ses caprices.


 


 

Mais dans cette affaire, la mort ne trouve de place que pour mieux mettre en perspective, si on peut dire, l’importance de la vie et plus évidemment de la possibilité d’enfanter. Mr Neville se trouve dans la situation de celui que l’on a payé pour tenter de sauver une lignée stérile. Ce qui n’est qu’une hypothèse bien sûr, car l’intelligence de ce film, c’est bien de laisser ouvertes toutes les possibilités de résolution de l’énigme. La référence à Agatha Christie ne se limite pas à cela, il faut beaucoup de "cellules grises" pour saisir l’ensemble des allusions, indices et autres clefs.


 


 

De ne pas comprendre dans quel imbroglio il est tombé, Mr Neville paiera les conséquences : il sera lui-même supprimé en essayant d’achever son treizième dessin, précisément à l’endroit où l’on a retrouvé le cadavre de Mr Herbert. C’est aussi le seul qu’il fera de nuit. Cette naïveté contraste singulièrement avec les manœuvres des habitués de la maison. L’offrande se résumerait en une série de douze (plus un) dessins, brûlés près du cadavre de leur auteur et le couple mère-fille honoré par ce rituel ? Comment trancher alors même que la dernière image du film nous propose le visage d’un homme-statue, sorte de génie du jardin présent de façon comique tout au long du film, crachant vers la caméra les morceaux d’annanas qu’il vient de manger. Comme s’il crachait le film même ?


 

Fatalement, Peter Greenaway se verra reprocher l’aspect trop sophistiqué, trop référentiel, sujet à trop d’interprétations de son œuvre. Il est sans doute exact que, pour un spectateur français par exemple, toute une série d’allusions historiques, de jeux de mots sont impossibles à saisir. Néanmoins, le souci de préserver tous les accès possibles à une appréciation raffinée de cette œuvre constitue le tour de force cinématographique le plus éblouissant qu’il ait été donné de voir depuis longtemps. Au demeurant, aux moments de jubilation ou d’agacement que procure Meurtre dans un jardin anglais succède une intense réflexion pour se donner encore les moyens de tout retenir. Tâche ardue, épuise-t-on la trame ou la beauté d’une pièce de Shakespeare ?

Henri Welsh
Jeune Cinéma n°158, avril 1984

* Cf aussi "Entretien avec Peter Greneway", Jeune Cinéma n°158, avril 1984.

* Cf. aussi "Peter Greenaway, un cinéma de réflexion", Jeune Cinéma n°257, septembre 1999.


Meurtre dans un jardin anglais (The Draughtsman’s Contract). Réal, sc : Peter Greenaway ; ph : Curtis Clark ; mu : Michael Nyman ; mont : John Wilson ; cost : Sue Blane. Int : Anthony Higgins, Janet Suzman, Anne Louise Lambert, Hugh Fraser, Neil Cunningham, Dave Hill, David Gant, Lynda La Plante (Grande Bretagne, 1982, 103 mn).



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