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Earwig (2021)
de Lucile Hadzihalilovic
publié le mercredi 18 janvier 2023

par Bernard Nave
Jeune Cinéma n°419, décembre 2022

Sélection officielle du Festival international de films de femmes de Créteil 2022

Sortie le mercredi 18 janvier 2023


 


Une oreille filmée en un long très gros plan ouvre le nouveau film de Lucile Hadzihalilovic (1) et trace tout de suite un sillon original dont on se dit qu’il va nous conduire dans des contrées inconnues. Et bien sûr ce plan établit d’emblée le lien indissociable entre vision et ouïe, image et son, la matière même de ce qu’est le cinéma.


 


 

Ce qui suit place le spectateur dans l’expectative, car rien n’est distillé en termes de compréhension directe de l’intrigue. Une petite fille avec un appareillage bucco-dentaire complexe qui renvoie à une pratique d’un autre temps. Un temps qui restera toujours indéterminé, même si plus tard des indices nous conduiront à penser à un après-guerre dans une Europe elle aussi gardée dans le flou. Un homme s’active à entretenir cet appareillage qui recueille la salive de la fillette. L’absence de dialogue, la non-désignation des noms des deux personnages qui se prolongent, étirent le temps narratif. Le minimalisme du décor, l’obscurité des intérieurs, l’étrangeté de la musique créent un univers proche du rêve éveillé.


 


 

Petit à petit, un récit prend forme. La jeune fille devient Mia, l’homme qui l’accompagne devient Albert, et l’on apprend, par des coups de téléphone, qu’il est chargé de s’en occuper. Ce sont de minuscules fragments narratifs qui racontent surtout des sensations, installent des énigmes comme le tableau représentant une mystérieuse demeure, un meuble contenant de multiples verres. À charge pour le spectateur de s’en saisir, de les garder dans un coin de sa mémoire en se disant qu’un sens finira bien par surgir.


 


 

Lorsqu’un jour Albert emmène Mia se promener, le monde extérieur se distingue à peine de l’intérieur tant la lumière reste dans une continuité chromatique. Arrivée près d’un plan d’eau, Mia se penche pour regarder son reflet et tombe dans celui-ci.


 


 


 

Un soir, Albert va dans un pub et rencontre un inconnu. De leur conversation, de nouveaux éléments de récit se mettent en place, sans toutefois construire encore une structure prévisible. Un autre personnage est introduit, Céleste, la barmaid. Ce n’est que lorsque la voix au téléphone demande à Albert de ramener Mia que les éléments du puzzle commencent à dessiner une figure plus visible, tout en laissant de larges plages de non-dit.


 


 

Le voyage en train qui conduit Albert, Mia, Céleste est magnifiquement filmé. Pour nous conduire dans la demeure du tableau. Il serait déloyal de dévoiler la part secrète de ces personnages, car il y a finalement un certain suspense, disons plutôt un certain mystère que le film ne cherche pas à percer totalement.


 


 

Lucile Hadzihalilovic propose ici une expérience que certains trouveront un peu déroutante, mais il ne faut surtout pas chercher à se replier dans une quête de logique propre à la grande majorité des films qui nous sont donnés à voir. Chaque spectateur est libre de remplir les creux du récit et peut-être, surtout, de les laisser comme tels. Pour emporter avec soi cet univers composite fait de gothique, d’expressionnisme.


 

Peut-être que Earwig doit être vu, perçu, reçu comme un conte fantastique dont les retombées persistent dans la mémoire comme au réveil d’un rêve, pour d’autres peut-être d’un cauchemar. La frontière entre les deux étant souvent incertaine.

Bernard Nave
Jeune Cinéma n°419, décembre 2022

1. Earwig est le 4e long métrage de Lucile Hadzihalilovic, une œuvre dont on retient particulièrement Innocence (2005) et Évolution (2015).


Earwig. Réal : Lucile Hadzihalilovic ; sc : L.H. & Geoiff Cox, d’après le roman de Brian Catling ; ph : Jonathan Ricquebourg ; mont : Adam Finch ; mu : Augustin Viard, déc : Jeanne Fonsny ; cost : Jackye Fauconnier. Int : Paul Hilon, Romane Hemelaers, Romola Garai, Alex Lawther Anastasia Robin Peter Van Den Begin Martin Verset (Grande-Bretagne-France-Belgique, 2021, 114 mn).



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