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Ça commence aujourd’hui (1998)
de Bertrand Tavernier
publié le samedi 18 février 2023

par Bernard Nave
Jeune Cinéma n°255, mai-juin 1999

Sélection officielle de la Berlinale 1999

Sorties les mercredis 12 mars 1999 et 15 février 2023


 


Le commissariat de L627 (1) était au confluent des problèmes de la drogue dans la société française. Dans Ça commence aujourd’hui, une école maternelle sert de révélateur de la misère économique et sociale d’une région du Nord. Entre temps, Bertrand Tavernier a bataillé sur le front des sans papiers et tourné De l’autre côté du périph’. (2)


 


 

Son dernier film se situe clairement dans le prolongement de cet engagement de citoyen et de cinéaste. Une certaine critique lui tient grief de mener ce double combat. Passe encore pour le premier, mais dans un cinéma français qui ne brille pas par sa conscience politique, s’engager à travers les images devient presque une hérésie. Le documentaire pourrait se charger seul de cette fonction, mais pas la fiction. À tel point que certains ont même, dans les médias grand public, parlé de son dernier film comme d’un documentaire.


 


 

Certes, Ça commence aujourd’hui se nourrit de l’expérience vécue de Dominique Sampiero. Certes la présence d’enfants et d’acteurs non professionnels, le tournage dans des lieux réels donnent au film des accents de vérité qui s’apparentent parfois au travail de documentariste. Il n’en reste pas moins vrai que le point de vue de Bertrand Tavernier passe par une histoire, des personnages fortement structurés, un scénario qui intègre des destins individuels dans un contexte fait d’événements agencés pour créer un monde, que ceux qui s’acharnent à le regarder au seul prisme du réel finissent par trouver faux. Car la fiction travaille différemment l’émotion des vécus qu’elle met en jeu. Et si certains personnages de La Guerre sans nom (3) ou De l’autre côté du périph’ créent eux aussi l’émotion, c’est dans un autre rapport au spectateur.


 


 

Ici, Bertrand Tavernier joue un jeu impur qui dérange forcément les tenants de la séparation des genres. Le héros existe par ceux qui l’entourent, les enfants de la véritable maternelle dans laquelle le film a été tourné, les parents incarnés par des non-professionnels qui parviennent à jouer tout en donnant l’impression d’être totalement eux-mêmes. Chaque scène apporte son paquet de tension et de drame : de la mère qui s’effondre dans la cour, aux deux ados dans le car de police accusés d’avoir saccagé l’école. Ce sont ces moments qui finissent par créer l’épaisseur du film, par construire un monde que le personnage central traverse et essaye, maladroitement souvent, d’infléchir en bousculant les institutions scolaires et sociales.


 


 

C’est peut-être cette rage de Daniel, le directeur, qui chagrine les esprits purs pour qui le cinéma français devrait être voué à l’exploration de la psychologie de personnages étrangers au réel qui les entoure. On peut penser que parfois il en fait trop, que le cinéaste accumule les malheurs. Hormis le fait que le cinéma forcément bouscule la temporalité des événements, qu’il leur donne une densité dramatique différente de la vie, la façon dont le cinéaste fonce dans cette matière correspond au désir très fort de briser le cercle de l’indifférence de notre société. Dans ces moments où la vie vient nous éclater à la figure, il retrouve le meilleur du cinéma de Ken Loach.


 


 

Et il sait aussi explorer des chemins plus secrets par le regard posé sur les paysages que traverse son personnage sur le chemin du travail, ces lignes horizontales, ces lumières qui transfigurent la noirceur du quotidien et que les gens qui aiment véritablement le Nord savent reconnaître.
Mais c’est aussi le paysage intérieur de Daniel dans son rapport à son père qui donne à son caractère une autre dimension et au film des échos plus complexes et plus riches.


 


 

Enfin, Bertrand Tavernier sait aussi trouver le regard juste sur les moments où affleure une culture populaire. La fanfare qui traverse les ruelles pour se rendre à la fête finale pourrait sortir d’un documentaire. Dans son irruption au terme d’un film qui explore la misère humaine, les combats à moitié gagnés ou à moitié perdus, elle apporte un écho nostalgique de ce qui se joue dans une région sinistrée mais qui ne veut pas mourir.

Bernard Nave
Jeune Cinéma n°255, mai-juin 1999

1. L627, Jeune Cinéma n°223, juillet 1993.

2. De l’autre côté du périph’, Jeune Cinéma n°247, décembre 1997-janvier 1998

3. La Guerre sans nom (1992), Jeune Cinéma n°213, février-mars 1992.


Ça commence aujourd’hui. Réal : Bertrand Tavernier ; sc : B.T., Dominique Sampiero & Tiffany Tavernier ; ph : Alain Choquart ; mont : Sophie Brunet ; mu : Louis Sclavis ; déc : Thierry François ; cost : Marpessa Djian. Int : Philippe Torreton, Maria Pitarresi, Nadia Kaci, Véronique Ataly, Didier Bezace, Emmanuelle Bercot, Françoise Bette, Christine Citti, Marief Guittier, Jean-Claude Frissung (France 1998, 127 mn).



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