home > Films > Une semaine de vacances (1980)
Une semaine de vacances (1980)
de Bertrand Tavernier
publié le mercredi 2 février 2022

par René Prédal
Jeune Cinéma n°128, juillet-août 1980

Sélection officielle en compétition du Festival de Cannes 1980

Sorties les mercredis 2 juin 1980 et 15 février 2023


 


Une semaine de vacances est un petit sujet bien français filmé avec la maîtrise américaine. Comment ne pas évoquer d’ailleurs, dès le début, ces innombrables films tournés à New York où la caméra suit en hélicoptère une automobile s’engageant sur un imposant pont métallique de l’Hudson. Ici la technique cinématographique est la même, mais c’est une Méhari franchissant le Rhône. Cette volonté de pousser un mini scénario pour en faire un grand film se retrouve dans le choix du cinémascope : "Je l’ai choisi parce que c’est un format lyrique" (1). Ainsi, bien que le thème ne le soit pas, la forme tentera de magnifier chaque détail par un codage renvoyant aux œuvres des grands maîtres américains.


 

En outre, ce format "réduit les effets de montage en permettant l’affrontement des personnages dans le même plan", précise Bertrand Tavernier, c’est-à-dire en favorisant les numéros d’acteurs. Là encore, Nathalie Baye, Gérard Lanvin et Michel Galabru auront donc mission d’évoquer les célèbres monstres sacrés d’outre-Atlantique.


 


 

On ne trouvait pas ce souci d’un modèle "international" dans L’Horloger de Saint Paul (2), que le cinéaste cite ouvertement dans la scène où apparaît Michel Descombes (Philippe Noiret). On avait là un "cinéma de terroir" montrant Lyon de l’intérieur, et non en avion. Les séquences de Une semaine de vacances, où Mancheron amoureux de ses petits plats mitonnés ferme son restaurant pour mieux les déguster à l’aise, nous font d’autant plus regretter ce regard chaleureux et quotidien que Bertrand Tavernier sait poser sur les choses et les gens, mais qu’il abandonne trop souvent au profit d’un savoir-faire hautement "professionnel", c’est-à-dire trop souvent impersonnel.


 


 

Ces réserves faites, Une semaine de vacances demeure une œuvre intéressante, plus vraie - sur le problème des enseignants - que La clef sous la porte de Yves Boisset (1978), pourtant déjà estimable, et infiniment plus attachante que Des enfants gâtés (1977), déjà au niveau du personnage (Laurence) et surtout à cause de son interprète. Au lieu de l’insupportable égocentrisme exhibitionniste de Christine Pascal, Nathalie Baye compose un jeune prof de lettres de CES très crédible, "qui existe surtout par réfraction : toutes les émotions des autres viennent se briser sur elle". D’ailleurs, Laurence craque un matin en allant au travail, et non dans sa classe même, ce qui donne bien le ton de la réflexion de Bertrand Tavernier. Refusant le spectaculaire - ce n’est pas Blackboard Jungle de Richard Brooks (1955) -, le film décrit seulement une faille, une félure, un doute finalement surmonté.


 


 

Dès lors la gravité de la situation se tempère de nombreuses touches d’humour et tout se joue dans les nuances d’un dialogue en creux et d’une direction d’acteurs évitant soigneusement les éclats. Cette modestie est sympathique, mais si tout est juste, rien ne va malheureusement bien loin. Le film reste à la surface des choses et l’on en vient à regretter la colère d’Antoine (Jacques Denis) qui, sur la passerelle Saint-Vincent, à la fin de L’Horloger de Saint-Paul, disait des choses terribles sur "ce putain de pays" dans lequel on étouffe et où "quand on n’arrive plus à respirer, on finit par casser les vitres". Plus larvaire, la prise de conscience de Laurence reste donc inaboutie et c’est même sa collègue - paraissant pourtant fort à l’aise - qui lâche brutalement l’enseignement, alors que Laurence prépare, à nouveau dans l’angoisse, la prochaine rentrée.


 


 

Loin de nous l’idée que la seule solution est de quitter ce métier. On aurait seulement aimé que les motivations des personnages soient plus fouillées. Avec beaucoup d’élégance et de souplesse, le découpage intègre les séquences de classe (sauf la toute dernière) sous forme de courts flashes-back à l’intérieur de cette semaine de congé. Références obligatoires des pensées de Laurence, elles restent donc, au niveau mental, dégagées de toute lourdeur réaliste. Très courtes, elles ne retiennent que l’essentiel, c’est-à-dire ce qui fait problème et suscite réflexion.


 


 

L’ensemble est d’ailleurs très découpé, ce qui confirme la volonté de Bertrand Tavernier de dire beaucoup sans insister vraiment sur aucun point particulier. La situation qu’il décrit est en effet celle d’un malaise diffus plus que d’une véritable crise, comme le synthétisent un peu les paroles de la chanson interprétée par Eddy Mitchell. Quoique la description des rapports amoureux n’ait jamais été le fort de Bertrand Tavernier, Une semaine de vacances reste du cinéma intimiste, n’analysant qu’au niveau des individus le retentissement de problèmes sociaux, d’où la relative insatisfaction ressentie face à l’œuvre.

René Prédal
Jeune Cinéma n°128, juillet-août 1980

1. Les citations entre guillemets sont de Bertrand Tavernier (ou extraite de ses films.

2. L’Horloger de Saint-Paul, Jeune Cinéma n°77, mars 1974.


Une semaine de vacances. Réal : Bertrand Tavernier ; sc et dial : B.T., Marie-Françoise Hans, Colo Tavernier O’Hagan ; ph : Pierre-William Glenn ; mont : Armand Psenny ; mu : Pierre Papadiamandis, chansons de Eddy Mitchell ; déc : Jean-Baptiste Poirot ; cost : Jean-Baptiste Poirot. Int : Nathalie Baye, Gérard Lanvin, Michel Galabru, Flore Fitzgerald, Philippe Léotard, Jean Dasté, Philippe Delaigue, Philippe Noiret, Nils Tavernier (France, 1980, 102 mn).



Revue Jeune Cinéma - Mentions Légales et Contacts