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Voyage en douce (le) (1980)
de Michel Deville
publié le vendredi 27 mars 2020

par Lucien Logette
Jeune Cinéma n°125, mars 1980

Sélection officielle de la Berlinale 1980

Sortie le vendredi 4 janvier 1980


 


Le Dossier 51 (1978) (1) avait surpris tous ceux qui avaient collé à son auteur l’étiquette définitive d’un petit-maître voué à l’éternel marivaudage et aux intermittences du cœur. Après cette incursion dans une catégorie a priori étrangère à son univers, incursion d’autant plus surprenante qu’elle était totalement réussie, Michel Deville revient à un propos apparemment plus dans la lignée de sa première manière. De prime abord, il y avait là de quoi réjouir les nostalgiques de À cause, à cause d’une femme (1963) ou de L’Appartement des filles (1963) : deux femmes qui profitent de leur amitié quasiment amoureuse pour tenter de trouver, dans une escapade provençale, un remède à leur mal-être, la trentaine qui approche, un quotidien qui piétine.


 

Pas vraiment une variante française d’un road movie, mais une sorte de "Hélène et Lucie vont en voiture". Même si la mise en œuvre est différente, on ne peut pas ne pas penser au film de Jacques Rivette (2) devant ces deux femmes qui, le temps d’un voyage, vont laisser jouer leurs imaginaires, échangeant confidences et fantasmes, souvenirs rêvés et frustrations vécues. Une blonde et une brune, une solide et une faible, qui, au fil de quelques jours volés, vont se révéler moins solides et moins faibles, pour se retrouver au terme de leur ballade dans une situation psychologique inversée, illustrée un peu lourdement à l’écran, Dominique Sanda / Hélène reprenant l’exacte position qu’occupait Géraldine Chaplin / Lucie au début du film).


 

Michel Deville a fait appel, pour nourrir son scénario, à une quinzaine d’écrivains de son panthéon personnel, écrivains dont les tonalités coïncident avec son goût de la demi-teinte et de l’acuité psychologique - François-Régis Bastide et Maurice Pons, entre autres -, coexistence d’habitude rarement réussie, mais qu’il a su organiser en subtil maître d’œuvre, évitant tout patchwork, et intégrant sans heurt chaque anecdote extérieure à l’itinéraire de ses héroïnes.


 

La mise en scène se révèle constamment inventive, multipliant les variations narratives : flashback en plans fixes, panoramique présentant dans le même mouvement le personnage et sa projection rêvée, utilisation de la voix off - l’émotion naît du décalage entre l’horreur d’un viol sur la bande-son et la sérénité de la bande-image. Il ne s’agissait pas pour le cinéaste de prouver qu’il était capable de ne pas se répéter, mais simplement de trouver pour chaque scène la technique de présentation optimale.


 


 

C’est un film sur le plaisir et la sensation : la douceur d’une peau, une odeur de confiture, la pluie sur une vitre, la clarté d’une robe. Parfois, le courant passe, lorsque s’établit entre les héroïnes une complicité d’au-delà du langage. Malheureusement, il ne passe pas toujours. Que s’est-il donc passé pour que, tous les constituants une fois rassemblés, quelque chose se grippe dans des engrenages pourtant rôdés et nous empêche de goûter tout le plaisir attendu ?


 


 

La gêne, le désintérêt même qui de temps en temps surgissent, viennent peut-être du caractère en définitive trop littéraire des personnages et de l’aspect trop écrit de certains dialogues qui les fait sonner parfois carrément faux (la première séquence, par exemple) - fausseté supportable lorsqu’il s’agit d’un effet esthétique cohérent, mais qui dissonne ici au milieu de passages bien accordés. La crédibilité en souffre, et l’émotion recherchée.
Il est difficile, en outre, de ne pas éprouver une irritation certaine devant cet univers trop serein, ce mobilier "Habitat", ces enfants trop propres ressemblant aux petits monstres des pubs télé, tous ces signes extérieurs d’une modernité obligatoire qu’on trouve un peu trop souvent dans le cinéma français.


 


 

Certes, Michel Deville n’est pas un cinéaste du vécu, et il a raison de traiter de ce qu’il pense connaître le mieux. Mais avouons notre légère fatigue de retrouver à nouveau, même si ce n’est pas l’essentiel et s’il se présente sous un aspect plus sympathique, un monde guère différent de celui de Claude Sautet. Détail minime, peut-être, et qui ne contredit pas la justesse de certains épisodes (la fascination devant la maison vide), mais qui, ajouté à quelques joliesses (le flashback un peu trop hamiltonien) interdit l’acquiescement total.


 

On pourrait d’autre part s’interroger sur le mauvais accueil presque général de la part de la critique féminine (pas seulement féministe), et pas toujours pour les mêmes raisons. S’agit-il d’un film qui dérange ou qui "questionne", ou plus simplement indispose parce qu’il ne reproduit qu’une vision tout compte fait masculine des rapports féminins - même si les hommes du film sont constamment inopérants ? La question reste posée.


 


 

Rien n’est plus délicat à mener à terme que ces œuvres qui tiennent de la corde raide, devant lesquelles on ose à peine respirer de peur de rompre l’équilibrage fragile des situations et des sentiments. Lorsqu’elles fonctionnent jusqu’au bout, on obtient Le Plaisir de Max Ophüls (1952), ou Lola de Jacques Demy (1961), une certaine forme de perfection. Dans Le Voyage en douce, Michel Deville semble avoir recherché cet état de grâce, mais quelques fêlures trop apparentes ne restituent de cette grâce que des éclats. Même si en nos temps de cinéma-brouillon, une séquence de ses séquences vaudra toujours les œuvres complètes de Claude Zidi ou de Michel Lang, notre exigence est à la hauteur de l’admiration que l’on porte au plan musical des réalisateurs français.

Lucien Logette
Jeune Cinéma n°125, mars 1980

1. "Le Dossier 51", Jeune Cinéma n°112, juillet 1978

2. Céline et Julie vont en bateau de Jacques Rivette (1974).


Le Voyage en douce. Réal, sc, dial : Michel Deville ; ph : Claude Lecomte ; mont : Raymonde Guyot ; mu : Catherine Ardouin. Int : Dominique Sanda, Géraldine Chaplin, Jean Crubelier, Jacques Zabor, Christophe Malavoy, André Marcon, Françoise Morhange (France, 1980, 98 mn).



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