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Un homme comme tant d’autres (1964)
de Michael Roemer
publié le mercredi 15 mars 2023

par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection de la Mostra de Venise 1964

Sorties les mercredis 12 janvier 1966 et 15 mars 2023


 


Nothing But a Man est une fiction en un splendide noir et blanc, tournée en extérieurs. Après les documentaires réalisé ensemble, (1) le duo Roemer-Young s’est reconstitué. Le scénario est écrit de concert et Robert M. Young assure toujours les prises de vue.
Elle s’ouvre sur une voie de chemin de fer où travaillent des ouvriers noirs sous les ordres d’un contremaître blanc. Le chantier doit durer encore cinq semaines. Les hommes semblent apprécier cette activité qui fait d’eux des itinérants. Il y règne une bonne ambiance. Les travailleurs, pendant la pause, boivent des bières, plaisantent entre eux et jouent aux dames avec les capsules des bouteilles.


 


 

Duff - Ivan Dixon, cascadeur ayant doublé Sidney Poitier dans The Defiant One (1958) -, le plus taiseux d’entre eux, le plus sérieux aussi, repousse les avances d’une charmante demoiselle un peu trop empressée. Il préfère se rendre à l’église, où l’on assiste à une authentique scène de gospel, et à une soirée de charité. Il engage la conversation avec Josie, une jeune femme aussi belle qu’intelligente et réfléchie, interprétée par la chanteuse de jazz Abbey Lincoln. Josie est institutrice et passionnée par son travail. Elle mentionne en passant qu’elle est la fille du pasteur. Il se trouve que celui-ci ne voit pas les choses d’un bon œil, d’autant que Duff reconnaît ne pas croire en Dieu.


 


 

Néanmoins, la jeune femme tient bon et le couple se marie puis s’installe après que Duff a trouvé un travail stable dans une scierie. Les choses se gâtent à partir du moment où il encourage ses collègues de travail à se montrer plus solidaires. L’un d’eux en informe la hiérarchie. Mis en demeure de revenir publiquement sur ses propos, Duff s’y refuse fièrement. Il est immédiatement mis à pied. Dès lors, considéré comme fauteur de troubles, il est partout, littéralement, blacklisté. En dernier ressort, le pasteur le recommande au propriétaire d’une station-service, où les petits Blancs se font un plaisir d’intimider voire d’agresser verbalement et physiquement la "forte tête".


 


 

Le film, censé se dérouler près de Birmingham, en Alabama, dut être tourné dans le New Jersey, la situation étant explosive dans le Sud en 1963 avec les manifestations et les sit-ins anti-ségrégation, les attentats meurtriers du Ku Klux Klan et l’arrestation de Martin Luther King. De ce contexte historique, il n’est pas fait d’écho dans Nothing But a Man, comme si la campagne pour les droits civiques n’avait pas atteint la petite bourgade en question. Duff lutte pour sa dignité, et le respect de ses droits en tant qu’homme. La violence est montrée comme latente, faite de brimades, de moqueries, d’insultes. Les menaces sont diffuses, privant les hommes de leur estime de soi et divisant la communauté noire. Une partie de celle-ci est achetée moyennant quelques privilèges ou un semblant d’ascension sociale. "Vous êtes tellement habitué à faire des courbettes que vous ne savez plus vous lever", lancera Duff à son beau-père.


 


 

Il n’y a aucune scène d’assassinat ni de lynchage, à peine une allusion en passant. L’œuvre témoigne du racisme ordinaire et de ses effets sur les rapports humains, les relations intimes et les rapports de travail. Le cinéaste fait intervenir même dans les seconds rôles des comédiens remarquable comme Julius Harris, Gloria Foster, Yaphet Kotto. La BO, à base de chansons de Stevie Wonder, des Marvellettes, de Martha and The Vandellas, des Miracles, etc. dissonne avec le contenu traité, voire tempère celui-ci. On discerne dans Nothing But a Man la sensibilité du cinéaste, témoin durant son enfance de situation similaires. Néanmoins, traitant, sur le mode de l’understatement, de motifs peu spectaculaires, le film se rapproche par sa facture même du genre documentaire.

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Cf. "Michael Roemer, An American Trilogy", Jeune Cinéma en ligne directe.


* Un homme comme tant d’autres (Nothing But a Man). Réal : Michael Roemer ; sc : M.R. & Robert Milton Young ; ph : Robert Milton Young ; mont : Luke Bennett ; cost : Nancy Ruffing. Int : Ivan Dixon, Abbey Lincoln, Yaphet Kotto, Julius Harris, Gloria Foster, Mel Stewart, Tom Ligon, Gil Rogers, Richard Ward, Moses Gunn, Esther Rolle (USA, 1964, 91 mn).



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