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Vengance is Mine (1982)
de Michael Roemer
publié le mercredi 15 mars 2023

par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe

Sortie le mercredi 15 mars 2023


 


Michael Roemer est l’homme de la seconde chance, pour ne pas dire de la revanche. Son long métrage Vengeance is Mine était au départ un téléfilm pour PBS tourné en 1983, diffusé en 1984 sous le titre Haunted, sans susciter alors d’intérêt particulier. Il resta près de quarante ans au purgatoire et est considéré comme un classique du genre depuis sa redécouverte en 2022 au Film Forum de New York.
Mêlant mélo et naturalisme, le film, hanté par des histoires de famille - le refoulé faisant retour - met en valeur surtout des figures féminines. Le récit s’ouvre avec un assez long gros plan sur le visage de l’héroïne principale, Jo, interprétée par Brooke Adams, rendue célèbre par Days of Heaven de Terrence Malick (1978). Le personnage exprime en une séquence toutes les émotions : la joie, la mélancolie, l’angoisse, l’indifférence, le flegme sur l’air de Moonglow (1934) de Will Hudson & Irving Mills, dans la version de Django Reinhardt. Un plan plus large la montre assise dans un avion, un verre de gin tonic à la main, au moment de l’atterrissage. On comprend alors qu’elle est ivre, ce que lui fera remarquer sa sœur Fran venue l’accueillir à l’aéroport de Rhode Island.


 


 

Dès lors, l’action se situe essentiellement dans une petite ville du Massachussetts "où rien jamais ne change". Jo revient au pays après des années d’absence, pour revoir sa mère adoptive assez mal en point. Et, par la même occasion, pour tenter de mettre un terme à des haines recuites. Dans cette famille d’origine polonaise, ultra-catholique, Jo était en effet considérée comme "un enfant du diable", tandis que sa demi-sœur était "la fille de Dieu". Les souvenirs se ravivent peu à peu. Dans un café de la ville, Jo croise le garçon qui l’avait mise enceinte quand elle était adolescente. Au domicile familial, nous découvrons le recoin où elle fut recluse jusqu’à son accouchement. "Quand je me suis réveillée, il n’y avait plus de bébé. Il avait été adopté".


 


 

Michael Roemer entrelace les thèmes de la filiation, du rapport à la mère, de l’envie d’enfant et de l’envie en général (de la tentation, de la jalousie, de la rivalité) à sa manière habituelle, avec force méandres et ellipses. La première partie se déroule dans le cadre familial étouffant et à l’église - des espaces encombrés de crucifix et de statues de la Vierge. La présence de Jo semble partout superflue. La mère d’adoption est sourde à tout dialogue. Fran s’occupe de son propre nourrisson. Ayant retrouvé la trace de sa mère biologique, une femme peu avenante qui tient une mercerie, elle lui rend visite sans oser lui dire qui elle est.


 


 

Heureusement Donna, une artiste-peintre qui vit avec sa jolie petite fille dans la maison d’à côté, est plus accueillante et nettement plus chaleureuse. Dans cette partie du film, pour la première fois, Michael Roemer s’attache à dépeindre l’atmosphère upper middle class et bohème en Nouvelle Angleterre. Jo et Donna sympathisent - toutes deux sont sur le point de divorcer. Donna cherche à établir une relation de sororité - certains plans font un peu songer à des scènes de Persona de Ingmar Bergman (1966). Jo, de son côté, désire avant tout une relation privilégiée avec la petite fille - substitut de son enfant perdu. Elle lui fait une déclaration d’amour.


 


 

Revient la question de la convoitise, en l’occurrence celle de la magnifique résidence secondaire de Donna sur Block Island. Sans parler de la séduction, réelle ou feinte, qu’elle cherche à exercer sur le mari de celle-ci. Dans ce trio l’enfant est otage. La plaisanterie vire au fantastique ou au film de vampire : Donna, fragilisée est poussée à bout, elle pique une crise d’hystérie après l’autre.


 


 

La comédienne Trish Van Devere, remarquée précisément dans le film d’horreur The Changeling (1980), aide à entretenir le suspense, alternant vulnérabilité et agressivité, calme glacial et déchaînement. Le film est dominé par des pastels dus à Franz Rath, le chef opérateur de Volker Schlöndorff et Margarethe von Trotta. La mer, les paysages et les lieux de l’intrigue sont photographiés comme des tableaux. Vengeance is Mine peut aussi faire penser aux drames de Henrik Ibsen ou de August Strindberg, fondés sur le rigorisme moral, la question de la parenté, la brutalité des relations intra-familiales. Paradoxalement, cela reste un spectacle pour tout public : les ingrédients du weepy sont là. À cet égard, Michael Roemer aime citer une règle de l’ancien acteur que fut aussi Ronald Reagan : "Un acteur ne doit jamais voler ses larmes au public".

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe

* Ne pas confondre avec Vengeance is Mine de Hadi Hajaig (2021).

** Cf. aussi "Michael Roemer, An American Trilogy", Jeune Cinéma en ligne directe.


Vengance is Mine (aka Haunted). Réal, sc : Michael Roemer ; ph : Franz Rath ; mont : Terry Lewis. Int : Brooke Adams, Trish Van Devere, Jon DeVries, Ari Meyers, Mark Arnott, Audrey Matson (USA, 1982, 118 mn).



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