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Anger, Kenneth (1927-2023) II
Une vie, une œuvre
publié le jeudi 25 mai 2023

par Nicolas Villodre
Jeune Cinéma en ligne directe


 


Né et mort à Santa Monica, Kenneth Anger est l’antéchrist du cinéma hollywoodien. Un des pionniers, avec Maya Deren, Sidney Peterson, James Broughton, etc., du film underground, par conséquent fasciné mais décalé, sinon opposé à l’upperground représenté par celui des majors, qualifié de NRI - narratif, représentatif, industriel - par Claudine Eizykman.


 

Il est un enfant de la balle, comme le rappelle Dominique Noguez : "Très tôt, ses parents le mettent dans une classe d’enfants de l’école de danse et d’art dramatique ouverte par Maurice Kosloff à Hollywood. Il joue, à huit ans, dans l’adaptation cinématographique du Songe d’une nuit d’été de Max Reinhardt & William Dieterle (1935) - c’est du moins la légende, rendue plausible par une photo".


 

Après s’être aguerri au 16mm avec la caméra Kodak de ses parents, Kenneth Anger réalise un film-choc en noir et blanc, Fireworks (1947), qui fait l’éloge de l’homosexualité et du sado-masochisme mais aussi le lien entre Le Sang d’un poète de Jean Cocteau (1930) et Un chant d’amour de Jean Genet (1950). Naturellement, Jean Cocteau, cofondateur du Festival du film maudit de Biarritz (1), soutient cette réalisation qui va dans le sens de la manifestation : "Le bon film est un accident, un croc-en-jambe au dogme et ce sont quelques-uns des films qui méprisent les règles, de ces films hérétiques, de ces films maudits dont la Cinémathèque française est le trésor."


 

Nous découvrons l’œuvre de Kenneth Anger au milieu des années 1970, à Chaillot, lors d’une présentation par Henri Langlois avec les courts et moyens métrages en pellicule 16 mm couleur, de nos jours diffusés en support film par Cinédoc Paris Films Coop et, pour certains titres, en DVD par Re:voir (2) à savoir les classiques, Fireworks, Puce Moment (1949), Rabbit’s Moon (1950), Eaux d’artifice (1953), Inauguration of the Pleasure Dome (1954-1956), Scorpio Rising (1964), Kustom Kar Kommandos (1965), Invocation of My Demon Brother (1966-69), Lucifer Rising (1966-80)… Il s’agit pour la plupart de "mises en scènes des mythes sexuels contemporains" et d’emprunts ironiques "à la mythologie égyptienne, indienne, grecque... voire hollywoodienne", comme le souligne Claudine Eizykman.


 


 

Il est un des disciples de l’occultiste sataniste Aleister Crowley auquel il consacre le film Thelema Abbey (1956), phalanstère situé à Cefalù, dans la province de Palerme, désormais en ruines, si l’on en croit notre collègue de bureau Nicole Gabriel qui s’y est rendue en pèlerinage à ses risques et périls il y a quelques années. (3)


 


 

Ce qui explique une suspension de sa part de tout jugement manichéen judéo-chrétien, voire une inversion des valeurs qu’on trouve dans ses inserts de signes cabalistiques, voire nazis (cf. la svatiska) et dans sa relation avec le musicien Bobby Beausoleil, membre de la bande de Charles Manson, qui finit de composer la BO de Lucifer Rising depuis sa cellule de prison. Kenneth Anger est par ailleurs l’auteur du livre à scandale Hollywood Babylone (1958) publié en français par Jean-Jacques Pauvert. (4)


 

Lors de son retour à la Cinémathèque française en 2013, Kenneth Anger confirme l’influence exercée sur lui par Serguei Eisenstein, le soutien sans faille de Mary Meerson, la compagne de Henri Langlois avec lesquels il collabore toute la première moitié des années cinquante. Il rappelle que ce dernier, généreux mais pas très sage, accepte à cette époque l’invitation de la Cinémathèque brésilienne de venir présenter à São Paulo la copie unique du film The Honeymoon (Mariage de prince), réalisé en 1930 par Erich von Stroheim, le deuxième volet de Wedding March (1928). Cette copie étant en nitrate, elle explose, du fait de la chaleur en plein mois d’août, à quelques rues du restaurant où Henri Langlois et lui qui l’accompagne dans ce voyage déjeunent tout tranquillement.

Nicolas Villodre
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Le Festival du film maudit de Biarritz, parrainé par André Bazin et Jean Cocteau, s’est tenu à Biarritz du 29 juillet au 5 août 1949.

2. Re:voir.

3. Cf. "Kenneth Anger à Paris en 2012", Jeune Cinéma n°359, décembre 2012.

4. Kenneth Anger a conçu l’ouvrage à Paris et Jean-Jacques Pauvert l’a publié dans une première version en 1959. Une version complète de 1975, aux USA, a été immédiatement interdite. Hollywood Babylon est suivi d’un 2e volume en 1986, Hollywood Babylon II. En France, l’ouvrage a été publié en 2013 par les Éditions Tristram et, la suite, Retour à Babylone en 2016, tous deux dans une traduction de Gwilym Tonnerre.



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