par Anne Vignaux-Laurent
Jeune Cinéma en ligne directe
La mort de Sinéad O’Connor, à Dublin, le 26 juillet 2023, était, depuis longtemps, "une mort annoncée". Elle est pourtant brutale et prématurée et a provoqué une grande émotion dans "le monde occidental", pas seulement anglo-saxon. (1)
"La mort transforme la vie en destin", disait André Malraux. C’est là que serait la tragédie. Il y a la non-reproductibilité, et le nevermore, en irlandais "Ní bheidh a leithéid arís ann." Il y a surtout la notion de fatalité qui se met à rôder dans l’esprit des vivants occidentaux formés à l’arrogance de la liberté, ce qui leur est insupportable.
C’est peut-être pour ça, qu’ils ont inventé la biographie, pas seulement pour oublier le temps et lutter contre l’oubli, mais parce qu’elle permet d’innombrables récits pour une même histoire, donc une libération philosophique possible.
La plupart des vies, même les plus sineuses, s’y prêtent, on cherche le sens à travers les aveux et les mémoires (2), on fait le bilan extérieur, on se contente de quelque rosebud anecdotique, on se trompe forcément, cela n’a aucune importance, les humains savent que leur fatalité à eux, c’est justement cette impossible quête de sens.
La vie chaotique de Sinéad O’Connor est comme un pied de nez à cette fatalité. Expliquer ce chaos par l’enfance malheureuse, comme dans les procès ou sur les divans, c’est dérisoire. Tenter d’y trouver une chronologie à peu près acceptable, des causes, des effets, ou même juste des synchronicités, c’est naïf. Essayer de dessiner une trajectoire au sein des contradictions irlandaises est présomptueux. Naturellement, la définir comme malade mentale, comme parfois elle se décrivait elle-même, est pauvrement réducteur, voire archaïque.
Se référer à la Théorie du chaos, où chacun, chacune, chaque chose trouve sa place, serait plus raisonnable (2).
La vérité de cette vie unique se trouve plutôt du côté poétique, dans l’affirmation de Hernani, "Je suis une force qui va". On la trouve aussi, surtout, dans sa musique, dans sa voix. Tout le reste n’est que détail, aurait dit Albert Einstein, qui voulait juste connaître les pensées de Dieu.
Sinéad O’Connor aura été rebelle même post-mortem.
Anne Vignaux-Laurent
Jeune Cinéma en ligne directe
* Cf. Sinéad O’Connor, Rememberings, Londres, Penguin Group, 2021.
1. Cf. "Nécrologie de Sinéad O’Connor," Journal de Solomon Roth (vendredi 28 juillet 2023).