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Zetterling, Mai (1925-1994) (e) I
Entretien avec Stefan Crozet
publié le mercredi 9 août 2023

Rencontre avec Mai Zetterling (1966)

À propos de Jeux de nuit (1966)
Jeune Cinéma n°17, septembre-octobre 1966


 


Jeune Cinéma : Comment travaillez-vous ?

Mai Zetterling : Comment mon nouveau film Nattlek (Jeux de nuit) a-t-il été conçu ? Eh bien, voilà comment ça s’est fait... Depuis longtemps déjà, j’avais envie d’écrire, mais mes tentatives n’avaient jamais abouti. Il y a environ deux ans, j’avais pas mal de temps de libre, j’avais cette idée et j’ai commencé à la mettre sur le papier. Au début, je ne savais pas ce que cela allait donner. Et puis, au bout de trois semaines, je me suis rendu compte que c’était un roman. J’ai été très surprise, car je n’avais jamais écrit de roman jusque-là. J’ai continué à écrire et, un beau jour, j’ai pensé tout à coup : "Mais c’est un film !" On effet, le roman prenait une forme très visuelle. Si bien que je ne savais plus ce que je voulais faire. Et je me suis arrêtée d’écrire pendant quelque temps.
J’ai repris mon roman et j’ai rédigé un traitement de film, basé sur cette même idée. Je l’ai soumis à la Société Sandrews, qui a répondu qu’elle était d’accord. J’ai donc fini le scénario et, le scénario une fois fini, j’ai terminé le roman. Si bien que l’un et l’autre ont été faits parallèlement, en quelque sorte. Ce qui est une chose assez unique. Le roman doit paraître en octobre et le film sortira en septembre (1).

Le sujet est assez complexe. Il s’agit d’un homme qui a été très couvé par sa mère, qui ne peut se détacher d’elle, et qui est prisonnier de son propre passé. Il lui faut mûrir, se trouver lui-même et se libérer. Je simplifie évidemment beaucoup les choses. On pourrait aussi dire que c’est la vieille Europe, l’ancienne mare stagnante. Le héros doit repartir à zéro. Nous devons repartir à zéro, résoudre nos problèmes et faire face à une société nouvelle.


 

Dans le livre, l’action se situe en Angleterre. Mais elle pourrait aussi bien se passer en Suisse ou en Allemagne, presque dans n’importe quel pays européen. Le film se passe dans un vieux château, aux environs de Stockholm, dans lequel toutes les séquences ont été tournées.
J’ai écrit le roman en anglais, le scénario aussi. Je vis depuis 21 ans en Angleterre. Je pense, je rêve en anglais, et il m’est plus naturel d’écrire dans cette langue qu’en suédois.

On ne peut pas vraiment dire que le scénario soit une adaptation du roman. Fondamentalement, l’idée est la même. Les personnages sont les mêmes, bien que j’aie dû en supprimer quelques-uns dans le film. Par ailleurs, il y a, dans le roman, tout un long passage (un voyage que font le héros et sa jeune femme) que je ne pouvais garder dans le film, car cela aurait augmenté le budget dans des proportions énormes. Mais j’ai pu m’arranger autrement. Le roman et le cinéma ont chacun leurs exigences propres, ce sont des moyens d’expressions totalement différents.
En quoi résident ces différences ? Il m’est bien difficile de le dire. J’ai été si complètement plongée pendant deux ans et demi dans ce travail que je ne sais plus moi-même si c’est bon, si c’est mauvais, ou si c’est ni bon ni mauvais. C’est l’ennui quand on travaille si longtemps à quelque chose, on finit par en avoir marre, dans un sens, et on ne peut plus juger ce que l’on fait.


 

J.C. : Du scénario au film...

M.Z. : Je ne puis prévoir les divers plans quand j’écris le scénario. Parce que, à ce stade, je n’ai pas encore trouvé le cadre exact, le lieu exact où chaque plan sera tourné. J’en ai trouvé quelques-uns. Par exemple, avant d’écrire mon scénario, j’avais été plusieurs fois au château de Penningby. Pendant la semaine qui a précédé notre premier coup de manivelle, je suis restée à Penningby, et c’est là que me sont venues toutes mes idées. Je connaissais les possibilités du château et j’étais prête à m’attaquer aux problèmes de la transcription visuelle.

J’ai préparé ce film très soigneusement. Je montrais tous mes croquis, tous mes projets à mon monteur et je lui expliquais exactement ce que je voulais faire. Je travaille avec un excellent monteur, Paul Davies, un Anglais. Et il me disait par exemple : "Ne trouvez-vous pas que ce soit un peu risqué de ne prévoir qu’un ou deux plans pour cette scène ? Pourquoi ne pas prévoir deux ou trois plans de plus, au cas où vous voudriez couper un peu le dialogue ?" Je trouve qu’il est extrêmement utile de travailler en collaboration étroite avec les techniciens. C’est seulement mon deuxième long métrage et je ne me sens pas absolument sûre de moi sur le plan technique.
Je suis de très près le montage. Pour Les Amoureux (2) je crois que j’ai eu un peu tort. J’ai vraiment suivi le montage depuis le début jusqu’à la fin, et, à la fin, je n’y voyais plus rien. Cette fois-ci, j’ai procédé différemment. J’ai suivi tout le premier découpage, puis je l’ai revu, plusieurs fois, et j’ai pris des notes très détaillées, que j’ai communiquées au monteur. D’après ces notes, il a fait un deuxième découpage. Il ne faisait qu’une séquence à la fois, il me la montrait et je lui disais ce que j’en pensais. Puis nous avons travaillé ensemble au montage définitif.


 

J.C. : Quand une actrice dirige le jeu...

M.Z. : J’ai une idée très précise de la manière dont les acteurs doivent interpréter les personnages. Peut-être que, d’ici quelques années, je serai plus souple, de ce point de vue, je ne sais pas. Faire un film c’est un peu comme faire des mots croisés. C’est un travail extrêmement complexe. Et la seule personne qui sache à quoi le film va ressembler, ce qu’il veut dire, c’est le metteur en scène. Spécialement s’il a écrit lui-même le scénario. Un acteur pense à sa propre interprétation, il ne peut voir le film dans son ensemble.
Aussi, afin d’éviter des difficultés vraiment graves lors du tournage, avant de commencer, avant que les contrats ne soient signés, je discute longuement avec mes interprètes. Je leur dis : "Voici comme je vois le personnage. Si vous êtes en complet désaccord avec ma conception, alors ce n’est pas la peine d’essayer. Si vous n’êtes pas d’accord avec moi sur tel ou tel point, voyons cela ensemble. Peut-être avez-vous raison, peut-être est-ce moi qui ai raison..."
Bien sûr, le fait que je sois moi-même une actrice m’aide pour diriger mes interprètes. Je connais les problèmes des acteurs, je sais comment ils réagissent en face du metteur en scène. C’est là une relation épineuse, car l’acteur doit accepter les critiques et personne n’aime être critiqué.


 

J.C. : Mai Zetterling et le cinéma suédois ?

M.Z. : Je ne vis plus en Suède depuis 21 ans, mais je suis restée profondément suédoise. Aussi est-il normal que mes films portent cette empreinte. Mes racines sont en Suède, j’y retourne tous les ans, parfois plusieurs fois par an. Je pense d’ailleurs que cela m’a aidée d’avoir quitté la Suède, que cela m’a aidée à voir les choses de plus loin. J’espère que cela a été une bonne chose.
Avec quels grands réalisateurs suédois je me sens le plus d’affinités ? Je ne peux pas dire que je me sente des affinités avec Ingmar Bergman. Mais il n’existe en Suède qu’un seul metteur en scène, c’est lui, évidemment. Je ne pense pas toujours que c’est le genre de films que j’aimerais faire, mais je les admire, bien sûr.
Le réalisateur suédois de l’époque du muet ? Je pense que Mauritz Stiller (1883-1928) est un grand maître. Son œuvre demeure très moderne et Erotikon (1920) reste de nos jours un très grand film. Les films de Victor Sjöström (1879-1960) me laissent plus froide. Le jeu des acteurs relève d’un théâtre démodé.

J.C. : Vos projets ?

M.Z. : J’ai bien des idées pour mon prochain film, mais elles sont encore trop vagues pour que je puisse en parler. Il y a des gens qui font trois ou quatre films par an. Je ne pourrais pas. Et je n’en ai pas envie. Il me faut près de six mois pour écrire le scénario. En tout, un film me prend un an et demi. Je travaille lentement. Et je ne tiens pas à faire beaucoup de films. Je veux en faire très peu. Je pense qu’il faut prendre son temps (3).

Propos recueillis par Stefan Crozet
Jeune Cinéma n°17, septembre-octobre 1966

*Cf. aussi "Jeux de nuit", Jeune Cinéma n°17, septembre-octobre 1966.
Et "Sur 4 films de Mai Zetterling", Jeune Cinéma en ligne directe.


1. Mai Zetterling, Night Games, Londres, Constable, 1966.

2. Les Amoureux premier long métrage de Mai Zetterling (1964) a été sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes 1965. Cf. "Sur 4 films" de Mai Zetterling", Jeune Cinéma en ligne directe.

3. Le film suivant de Mai Zetterling sera Docteur Glas (1968), une adaptation d’un roman de Hjalmar Söderberg. Sélectionné en compétition au Festival de Cannes 1968, le film n’a pas été projeté en raison de l’interruption du festival en soutien aux événements de Mai 68. Il est inédit en France.


Jeux de nuit (Nattlek). Réal : Mai Zetterling ; sc : M.Z. et David Hughes ; ph : Rune Ericson ; mont : Paul Davies ; mu : Jan Johansson & Georg Riedel ; déc : Jan Boleslaw ; cost : Birgitta Hahn. Int : Ingrid Thulin, Keve Hjelm, Jörgen Lindström, Lena Brundin, Naïma Wifstrand, Monica Zetterlund, Rune Lindström, Christian Bratt, Lissi Alandh, Lauritz Falk (Suède, 1966, 105 mn).



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