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Kes (1969)
de Ken Loach
publié le jeudi 28 mai 2020

par Bernard Nave
Jeune Cinéma n°193, février-mars 1989

Sélection de la Semaine de la critique au Festival de Cannes 1970

Sorties le vendredi 19 juin 1970 et le mercredi 20 mai 2009


 


Coup de téléphone à la revue. On apprend qu’une petite maison vient de se créer et qu’elle va ressortir Kes (1969). On désespérait de jamais revoir ce qui reste peut-être le meilleur film de Ken Loach, et sa première collaboration avec Barry Hines pour le scénario et Chris Menges pour la photographie. La dernière fois qu’on avait vu le film, c’était lors d’un stage de la Fédération Jean-Vigo consacré au cinéma anglais, il y a six ans. La copie vraiment fatiguée était sans doute la dernière en circulation, mais l’émotion passait, intacte (1).


 

Le coup de téléphone a miraculeusement réactivé le souvenir, fait ressurgir l’extraordinaire visage du jeune héros, Billy Casper. On est sûr que l’histoire n’a rien perdu de sa force.
Billy, le fils cadet d’une famille de mineurs, vit une passion secrète qui lui permet d’oublier la grisaille des jours, les humiliations que lui fait subir son grand frère adulte, l’indifférence de parents accablés par la vie, la monotonie de l’école.


 


 

Un jour il découvre un jeune faucon qu’il adopte et qu’il dresse. Kes suit le développement de cette amitié profonde entre l’enfant et l’oiseau. Billy découvre alors des moments de bonheur intense, des bouffées de liberté hors des pesanteurs sociales et culturelles qui constituent son lot quotidien. Les envols de l’oiseau sont autant d’appels vers un ailleurs plus grand et plus beau.


 


 

Même éphémères, ces moments nourrissent les rêves de l’enfant qui tient cette passion secrète, jusqu’au jour où son professeur découvre en classe combien elle est devenue la part la plus importante de la vie de Billy. Pour la première fois, un adulte parvient à le comprendre et l’encourage à développer cet éveil au bonheur.


 


 


 

Kes, son deuxième film, concentre déjà tout ce qui constitue le style de Ken Loach et en fait l’un des plus grands cinéastes anglais. D’abord, il enracine son histoire dans la réalité profonde d’une Angleterre authentique. L’apport du scénario de Barry Hines est à cet égard essentiel, il décrit un milieu et des gens qu’il connaît bien. La qualité du film tient à cette fidélité à la langue, aux gestes et aux attitudes des personnages. On trouve d’ailleurs une séquence très proche de ce que le scénariste a lui-même vécu. Au collège que fréquente Billy, un prof de gym s’identifie au grand footballeur Bobby Charlton, et conduit le match de foot entre élèves à sa façon. Barry Hines se souvient qu’il a enseigné l’éducation physique avant de devenir écrivain. Il est sans pitié pour son personnage.


 


 

Et puis, Ken Loach excelle dans la direction de ses acteurs souvent non professionnels, à commencer par David Bradley qui incarne Billy. Il les amène à se mouler dans leurs personnages avec une étonnante vérité. C’est pourquoi le jeune héros de Kes reste l’un des plus beaux personnages d’enfant que nous ait donnés le cinéma.


 


 
Surtout, l’art du cinéaste mêle admirablement l’engagement personnel au souci d’authenticité. Le constat repose sur des situations vraies, ce qui n’exclut pas l’invention, voire la poésie et l’humour, surtout pas l’émotion. Dans chacun de ses films, il nous propose des personnages à la recherche d’un bonheur que leur environnement leur refuse de façon souvent brutale. Aussi dans leur lutte de tous les jours pour s’affirmer, ils doivent puiser au plus profond d’eux-mêmes les forces et le courage qui autorisent l’espoir au-delà du pathétique de leur situation.
Il faut voir, ou revoir Kes pour comprendre l’esprit qui anime Ken Loach et qui fait de lui le plus pur produit du grand héritage laissé par l’école documentaire anglaise et le Free cinéma (1).

Bernard Nave
Jeune Cinéma n°193, février-mars 1989

1. "Le Free Cinema", Jeune Cinéma n°19, décembre 1966-janvier 1967.


Kes. Réal : Ken Loach ; sc : Barry Hines ; ph : Chris Menges ; mont : Roy Watts ; mu : John Cameron ; déc : William McCrow. Int : David Bradley, Freddie Fletcher, Lynne Perrie, Colin Welland, Brian Clover, Bob Bowes (Grande-Bretagne, 1969, 110 mn).



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