Hyères 1967
3e édition (17-26 avril 1967)
publié le mardi 5 septembre 2023

par Melly Keller
Jeune Cinéma n°23, mai 1967


 


Pour sa troisième édition le Festival du jeune cinéma de Hyères n’a pas fait mentir sa légende naissante : le climat d’amitié et de compréhension, un cadre exceptionnellement favorable au libre courant des idées, et la joie de découvrir le "jeune cinéma", même si ce mot ne recouvre pas toujours exactement ce qu’il est censé recouvrir. Donc, soleil, eau bleue, farniente...

Et sur l’écran ? Il ne s’agit pas d’afficher une sévérité hors de proportion avec les moyens dont dispose une manifestation qui ne peut certes rivaliser avec ses grandes concurrentes, mais il est vrai que le Festival d’Hyères a donné parfois l’impression, en inscrivant à son programme certains films, qu’il les faisait ainsi échapper à une "malédiction" plutôt justifiée : à force d’accueillir chaleureusement les essais les moins concluants en même temps que des œuvres de valeur négligées par les distributeurs, il risque de créer une confusion dans l’esprit d’un public qui ne demande qu’à croire ce qu’on lui montre.
Mais il est vrai aussi que le festival a très souvent rempli sa tâche qui est de mettre sous les yeux de ses spectateurs des films qui, par leur nouveauté, leur audace ou leur jeunesse, ne trouvent pas leur audience devant des instances plus prestigieuses, et on pense ici notamment aux courts-métrages. En vérité il ne faut jamais se plaindre que soient projetés des films, même dans le désordre. Et le festival projette des films, beaucoup de films.

Nous avons vu l’admirable Premier maître de Mikhalkov Kontchalovski (1965), et le très remarquable La Morte de Léon Hirszman (1965) et l’attachant Chaque jeune homme de Pavel Juráček (1966). (1)


 


 


 

Et nous avons vu encore Pop Game de Francis Leroi (1966), Bérénice de Pierre-Alain Jolivet (1966). (2)


 


 

Nous avons vu enfin, ce Mamaia, dû à José Varela (1966) qui enchanta si fort les membres du jury qu’il sembla, dès la fin de sa projection, que les jeux étaient faits. (3) On peut être plus réservé sur un film un peu trop "dans le vent ". On comprend bien que nos rockers s’en aillent troubler l’esprit d’une belle Roumaine dans le cadre photogénique d’une plage socialiste, mais de là à couronner les balbutiements post-godardiens...


 

Les autres vedettes de la rencontre étaient La Barrière de Jerzy Skolimovski (4) où le brillant jeune Polonais semble tourner un peu en rond tout en conservant son brio.


 

Et Anna de Pierre Koralnik (5), émission de télévision-couleurs, parée de tous les charmes d’une modernité raffinée.


 

Il ne semble donc pas que cette troisième édition du festival ait révélé des œuvres comparables aux Cœurs verts de Édouard Luntz (6) l’année dernière, ou à La Vieille Dame indigne de René Allio (7) il y a deux ans.


 


 

Mais cela est difficilement imputable à une organisation qui, on le répète, ne peut guère lutter avec d’autres, qui commencent à comprendre que le "jeune cinéma" est bon à adopter. C’est vrai - et c’est tout à fait juste - que le "jeune cinéma" entre cette année à Cannes où Alain Jessua et Nadine Trintignant ont été préférés à des valeurs établies. (8) Il faut s’en réjouir. Et c’est peut-être le résultat d’un effort dans lequel le Festival d’Hyères a joué son rôle.
Quant à la sélection d’Hyères elle-même, il reste à trouver la ligne de partage. Ses organisateurs s’y emploient. C’est pourquoi nous devons attendre avec confiance l’année 1968.

Melly Keller
Jeune Cinéma n°23, mai 1967

1. Le Premier Maître (Pervyy uchitel) de Andreï Kontchalovski (1965). Le fim a été sélectionné en compétition par la Mostra de Venise 1966. Il est sorti en salle le 18 octobre 1967. Cf. Jeune Cinéma n°17, septembre 1966 et Jeune Cinéma n°26, novembre 1967.

* A Falecida ("La Morte"), premier long métrage de Leon Hirszman (1965), sélectionné et primé en 1965 aux Festivals de Brasília, de São Paulo et de Rio de Janeiro, n’est jamais sorti en France.

* Chaque jeune homme (Kazdy mlady muz) de Pavel Juracek (1966), sélectionné au Festival de Karlovy Vary 1966, est sorti en en France le 14 juin 1967.
Cf. Jeune Cinéma n°16, juin-juillet 1966.

2. Pop Game de Francis Leroi (1966), sorti en salle en 1968 ; Bérénice de Pierre-Alain Jolivet (1966), sorti en salle le 3 janvier 1968.

3. Mamaia a obtenu le Grand Prix du Festival international d’Hyères en 1967. Il est sorti en salle le 24 mai 1967.

4. La Barrière (Bariera) de Jerzy Skolimovski (1966), sélectionné au Festival de Valladolid 1968, sorti le 1er mai 1968.
Cf. Jeune Cinéma n°23, mai 1967 et Jeune Cinéma n° 35, janvier 1969.

5. Anna de Pierre Koralnik (1966) est le premier téléfilm français tourné en couleurs. Les téléspectateurs l’ont vu le 13 janvier 1967, sur leur écran noir et blanc. C’est une comédie musicale, avec Anna Karina, Serge Gainsbourg, Jean-Claude Brialy, Marianne Faithfull, Eddy Mitchell, qui a donné lieu à un 33 tours et un 45 tours. Le film est présenté en ouverture du Festival du jeune cinéma d’Hyères, le 17 avril 1967, et au Forum des images en 2020, mais il n’est jamais sorti en salle. Il doit sortir le 15 novembre 2023, en restauration 4K supervisée par l’INA.

6. Les Cœurs verts de Édouard Luntz (1966), sorti en salle le 30 novembre 1966.
Cf. Jeune Cinéma n°16, juin 1966 et Jeune Cinéma n°20, février 1967.

7. La Vieille Dame indigne de René Allio (1965), sorti en salle le 24 mars 1965.
Cf. Jeune Cinéma n°361-362, automne 2014.

8. Le Festival de Cannes 1967 a sélectionné en compétition Jeu de massacre de Alain Jessua (1967), cf. Jeune Cinéma n°23, mai 1967.
Et Mon amour, mon amour de Nadine Trintignant (1966).



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