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Chariots de feu (les) (1981)
de Hugh Hudson
publié le mercredi 11 octobre 2023

par Bernard Nave
Jeune Cinéma n°136, août 1981

Sélection officielle en compétition du Festival de Cannes 1981
Oscars 1982 du meilleur film, du meilleur scénario, de la meilleurs musique et des meilleurs costumes

Sorties les mercredis 22 mai 1982 et 11 octobre 2023


 


Le cinéma anglais vit un moment particulier où il essaie de s’affirmer malgré toutes les difficultés qu’il doit surmonter, principalement en Angleterre même. Il a révélé des auteurs capables de réaliser des films très publics, au prix souvent d’un abandon de sa spécificité nationale, afin de pouvoir toucher un public plus international et américain d’abord. Parallèlement, ces dernières années ont vu aussi l’émergence de jeunes cinéastes plus préoccupés par la situation de leur pays et particulièrement de la jeunesse avec des films comme Breaking glass (1980) ou Radio on (1979), entre autres (1). La page du Free Cinema (2) est définitivement tournée, sauf peut-être pour Ken Loach qui continue à manifester un intérêt profond pour le tissu social anglais avec un regard sans concession aux modes d’écriture d’outre-Atlantique. Les Chariots de feu de Hugh Hudson s’inscrit dans ce mouvement d’aggiornamento. Film public dans sa facture, il annonce peut-être un retour du cinéma anglais à une dimension qui s’était perdue.


 


 

On peut prendre le film à plusieurs niveaux. Ce peut être d’abord un film sur le sport et l’idéal olympique avec toutes les valeurs morales qu’ils véhiculent : sens du dépassement, de l’effort individuel.


 


 

En faisant revivre les heures glorieuses des Jeux Olympiques de 1924 à Paris, avec le triomphe de deux grands athlètes anglais, Harold Abrahams et Eric Liddell, Hugh Hudson se réfère à un moment historique autour duquel le sentiment de fierté nationale peut encore trouver un écho aujourd’hui. Les amateurs de sport éprouveront l’ivresse de l’effort couronné par la victoire. La façon de filmer les épreuves qui mêle le ralenti, le sens du détail, vise à rendre ce travail intense du corps et la musique contribue à exalter ces moments dramatiquement forts de façon très efficace.


 


 

Mais de toute évidence, le propos de Hugh Hudson dépasse largement la fascination pour le sport. Le film constitue surtout une approche morale de deux personnalités qui, plus que de simples athlètes, sont présentées comme étant porteuses de valeurs données en exemple. Le film s’ouvre et se referme sur un service religieux à la mémoire de Harold Abrahams en 1980. Entre ces deux séquences, il nous est surtout donné de voir l’itinéraire de deux hommes dans un contexte historique et social certes bien daté, mais qui renvoit aussi à des idéaux pour lesquels Hugh Hudson éprouve plus que de la nostalgie.


 


 

Harold Abrahams, issu d’une famille juive, se heurte à l’esprit traditionnel de Cambridge et s’impose avec le désir constant d’affirmer sa capacité à battre en brèche ce conservatisme à visage humain. Chez Eric Liddell, fils de missionnaire, le sport constitue la manifestation d’un signe divin dont il est porteur. Guidé par cet appel, animé par la force intérieure de la foi, il parviendra lui aussi à imposer son idéal face aux intérêts nationalistes des dirigeants sportifs et aux réticences des puristes de la religion.


 


 

À première vue, le combat de ces deux hommes pourrait apparaître comme une contestation d’un ordre établi, mais on sent très bien qu’en définitive il le renforce. D’une part, le sport a rarement permis d’affirmer des valeurs libératrices au moins à un niveau aussi élevé. Surtout, le fait de représenter aujourd’hui les idéaux incarnés par les deux hommes n’est pas un choix innocent. Les Chariots de feu ressuscite les charmes d’une méritocratie fondée sur le combat d’individus pour gagner leur place dans une société qu’ils ne remettent pas en cause.


 


 

Ce qui paraît constituer l’aspect le plus pernicieux de ce film, au demeurant très professionnel dans sa forme, c’est l’intelligence avec laquelle Hugh Hudson se livre à cette réhabilitation de l’effort individuel. Tout le film s’appuie sur une peinture très fouillée des structures de la société anglaise vue en particulier à travers le prisme déformant de ce microcosme de l’élite que constitue Cambridge.


 


 

La façon dont Hugh Hudson le décrit, constitue une forme de justification implicite d’un ordre social qui, au-delà de ses mesquineries, demeure un modèle, même s’il est inaccessible au commun des mortels. On est loin de la vision destructrice qu’en donnait Lindsay Anderson dans If (1968).

Enfin, un détail du film contribue à révéler les intentions de l’auteur. Au moment des épreuves de sélection olympique, le monde ouvrier apparaît très brièvement. Les visages noircis des mineurs contrastent singulièrement avec les beaux corps des coureurs écossais ou étudiants. Le paysage triste et sale s’oppose au beau gazon vert de l’Angleterre éternelle. Il ne s’agit pas ici de donner une dimension critique, mais bien plutôt de renforcer l’unanimisme autour de la glorification de l’effort.


 

Il n’est pas indifférent de voir un film comme Les Chariots de feu apparaître dans l’Angleterre d’aujourd’hui. Pour qui se souvient de la façon dont Toni Richardson utilisait le cantique d’où est repris le titre du film de Hugh Hudson, on mesure l’écart qui sépare sa vision de la société, dans La solitude du coureur de fond (1962), de celle de Hugh Hudson. (4)

Bernard Nave
Jeune Cinéma n°136, août 1981

1. Breaking glass premier long métrage de Brian Gibson (1980) ; Radio on premier film de Chris Petit (1979).

2. "Le Free Cinema (1956-1963)", Jeune Cinéma n°19, décembre 1966-janvier 1967.

3. If..., Jeune Cinéma n°39, mai 1969.

4. La Solitude du coureur de fond, Jeune Cinéma n°5, février 1965.


Les Chariots de feu (Chariots of Fire). Réal : Hugh Hudson ; sc : Colin Welland ; ph : David Watkin ; mont : Terry Rawlings ; mu : Vangelis (crédité Vangelis Papathanassiou) déc : Roger Hall ; cost : Milena Canonero. Int : Ben Cross, lan Charleston, Nigel Havers, Cheryl Campbell, Alice Krige, Lindsay Anderson, Nigel Davenport, Brad Davis, John Gielgud, lan Holm (Grande-Bretagne, 1981, 119 mn).



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