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Petite (la) (1978)
de Louis Malle
publié le mercredi 9 novembre 2022

par Jean Delmas
Jeune Cinéma n°112, juillet 1978

Sélection officielle en compétition du Festival de Cannes 1978
Oscars 1979 de la meilleure partition de chansons et adaptation musicale pour Jerry Wexler

Sortie le mercredi 24 mai 1978


 


Le bordel de luxe de la Belle époque est-il en train de devenir un lieu privilégié du cinéma ? Au Festival de Cannes 1978, on avait le choix entre celui de Károly Makk, dans son film Une nuit très morale (Egy erkölcsös éjszaka) et celui de Louis Malle, dans La Nouvelle Orléans de 1917. On est bien loin des bordels de gueux du vieux réalisme allemand de Georg Pabst, La rue sans joie (1925) ou L’Opéra de quat’sous (1931). Celui de Louis Malle (œil de Sven Nykvist derrière la caméra) est une splendeur.


 


 

N’empêche qu’à vivre par procuration une grande heure de bordel, on finit par s’ennuyer. Et puis c’est donner de la prostitution une vision idyllique bien contestable. Même si on veut y voir un métier comme un autre, il est au moins aussi aliénant que les autres, Louis Malle doit bien le savoir, pour avoir collaboré à un film enquête allemand qui rend compte de ce métier avec une probe exactitude.


 


 

Le film devient intéressant à partir du moment où la "petite" quitte le bordel, parce qu’à ce moment-là une alternative révèle sa manière d’être. Violet, fille de prostituée, a été élevée dans ce bordel, c’est son milieu naturel où elle vit comme un poisson dans l’eau, mais elle a treize ans, c’est une enfant. Elle fait déjà le métier de putain et elle aime encore les poupées.
Or elle est amoureuse de Bellocq, un gars naïf et emprunté, qui est devenu le photographe attitré des filles sans jamais user d’elles autrement que par l’intermédiaire de son objectif.


 


 

C’est quand Violet, humiliée dans sa "Maison" (mais pas du tout par son travail de prostituée), la quitte pour se réfugier dans la maison de Bellocq, qu’éclatent vraiment, dans une adaptation difficile, les contradictions de la Petite. On conçoit bien que ce "cas" portant à l’exaspération, chauffant à blanc le vieux thème de la femme-enfant, ait pu fasciner le cinéaste quand il a exhumé dans des archives l’histoire vraie qui est à la source du film. Mais les films de Louis Malle, habituellement au-delà de l’histoire racontée, nous conduisaient très loin. Cette fois, le cas "socio-pathologique" qui détermine la psychologie de Violet, trop exceptionnel, ne nous conduit nulle part. Est-ce à dire qu’on ne retrouve pas Louis Malle dans ce film ? Sûrement pas. De lui ce goût de surprendre : la scène de la vente aux enchères du pucelage de cette petite fille, disputé entre de gras bourgeois écœurants, nous la ressentons comme insoutenable, atroce. Mais il faut bien retomber de notre indignation en constatant que, pour Violet, c’est un jeu comme un autre.


 


 

De lui (dans cette scène ou ailleurs), la passion de la vérité insolente, du "scandale de la vérité"... et puis, curieusement, en balance à un quasi-cynisme, une valorisation de la modestie, de la naïveté : le personnage de Bellocq.


 


 

C’était, dans Les Amants, celui du petit géologue en deux chevaux. De lui cette manière de développer les caractères et les situations par des alternatives successives. Ici vie de prostituée et amour "naturel", puis amour naturel et "morale" bourgeoise, une dialectique à trois termes qui rappelle encore celle des Amants, mais, cette fois, les termes inversés débouchent sur le pessimisme.


 


 

Car la scène atroce n’est pas celle de la vente aux enchères de la petite fille dans le bordel, mais celle - finale -, où une mère désormais mariée, embourgeoisée à mort, arrache à Bellocq, à un amour aléatoire mais possible, la petite fille qu’elle avait laissé tomber pour entrer dans le "beau monde". C’est bien de Louis Malle aussi, cette révolte contre la morale d’une bourgeoisie dont il sort.

Jean Delmas
Jeune Cinéma n°112, juillet 1978

* Cf. aussi "Entretien avec Louis Malle", Jeune Cinéma n°184, novembre 1987.


La Petite (Pretty Baby). Réal : Louis Malle ; sc : Polly Platt ; ph : Sven Nykvist ; mont : Suzanne Fenn ; mu : Jerry Wexler ; déc : James L. Berkey ; cost : Mina Mittelman. Int : Brooke Shields, Keith Carradine, Susan Sarandon, Antonio Fargas, Diana Scarwid, Barbara Steele (USA, 1978, 110 mn).



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