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Sissi & moi (2023)
de Frauke Finsterwalder
publié le mercredi 25 octobre 2023

par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection officielle en compétition de la Berlinale 2023

Sortie le mercredi 25 octobre 2023


 


Pour commémorer le 125e anniversaire de l’assassinat de l’impératrice Élisabeth de Habsbourg, plus connue sous son petit nom de Sissi, on assiste, en Autriche comme en Allemagne, à une surenchère en matière de publications de toutes sortes, les unes savantes, les autres populaires, d’émissions de télévision, de séries sur les "plateformes", ainsi qu’à la sortie en salle de deux films qui lui sont consacrés : Corsage de Maria Kreutzer (2022) (1), et Sissi et moi de Frauke Finsterwalder (2023). Historiennes et historiens débattent encore pour savoir ce qui est venu en premier : la figure d’une femme au sommet de l’État autrichien qui refusait les conventions de son temps, par là même excentrique, voire extravagante, ou bien celle du mythe né de l’opérette composée par Fritz Kreisler en 1932, du film hollywoodien réalisé par Josef von Sternberg en 1936, The King Steps Out, et de la fameuse trilogie des années cinquante tournée par le librettiste d’origine, Ernst Marischka, avec Romy Schneider incarnant Sissi. Nous devons rappeler qu’un culte lui fut rendu de son vivant par les nationalistes hongrois dont elle avait épousé la cause. D’autre part, les rapports entre la jeune impératrice et son cousin Louis II de Bavière contribuèrent à sa légende - cf. Ludwig de Luchino Visconti (1973).


 


 

Sissi s’étant retirée assez tôt de la vie publique, il reste d’elle une image d’éternelle jeunesse, d’autant qu’elle a refusé d’être prise en photo ou en daguerréotype à partir de l’âge de 30 ans - à moins d’être floutée par une voilette. Enfin, tout le monde n’ayant pas eu la chance de périr dans un attentat anarchiste, cette fin tragique coïncide avec une Europe décadente. Elle fait d’elle une victime propitiatoire et un symbole féminin. Frauke Finsterwalder cherche à démystifier le personnage de Sissi, l’héroïne d’un récit de la "joyeuse apocalypse", d’un opus musical et d’une saga à l’eau de rose en Agfacolor. Elle en prend le contrepied et se justifie en déclarant s’être basée sur les mémoires de la comtesse Irma Sztáray, la dame de compagnie de l’impératrice qui les avait publiées en 1909 (2).


 


 

La réalisatrice ne filme donc pas la pétillante jeunette qu’on garde en mémoire, mais une femme qui approche de la soixantaine, interprétée par Susanne Wolff, une brune aux cheveux en chignon. Sissi est une voyageuse. Elle n’est pas seulement montrée comme cavalière émérite, mais comme obsédée par son apparence et surtout par la minceur. C’est une pionnière du culte d’un corps touchant à la fois à l’esthétique et à l’ascétisme. Boulimique et anorexique, elle soumet son entourage à son régime, dans tous les sens du terme. Celui-ci est à base de soupes claires, suivies d’extrait d’orties et de… cocaïne. On comprend qu’elle puisse se montrer versatile et capricieuse.


 


 

Le film la décrit isolée du monde avec, pour seul ami, Viktor, le frère homosexuel de François-Joseph, à l’humour toujours caustique. Et, pour dame d’honneur, la comtesse supra citée, sa souffre-douleur, jouée par Sandra Hüller. Les rapports entre les deux femmes, ambigus et tendus, un peu sado-masos sur les bords, limite saphiques - le film a d’ailleurs concouru au Teddy lors de la dernière Berlinale (3) -, servent de trame au drame. Comme on voit, on est loin de la vision idyllique de Ernst Marischka cherchant à faire oublier le passé sombre. Sissi & moi n’a plus rien de léger, d’insouciant, de romantique. Rien qui rappelle le bon vieux temps.


 


 

Le film nous promène à travers de très beaux paysages. Le spectateur suit la villégiature impériale, de Corfou à Alger, en passant par la campagne anglaise et les villes d’eau bavaroises. Malgré tout, il a indéniablement un aspect grinçant. La réalisatrice fait durer le déplaisir plus que nécessaire (près de deux heures et quart) et nous inflige de pénibles scènes de vomissement. Elle se croit obligée d’user de la "distanciation" en réduisant cette notion à quelques effets d’anachronisme, façon Sofia Coppola. La BO est ainsi truffée de tubes anglo-saxons et les codes vestimentaires de l’époque ne sont pas tous respectés par Tanja Hausner. Les tenues de ces dames tiennent parfois de tuniques à la Isadora Duncan, de pantalons et jupes culottes très Années folles, de marinières façon Chanel.


 


 

Frauke Finsterwalder met dans la bouche de sa protagoniste des déclarations très années soixante-dix telles que : "Désormais, c’est moi qui disposerai de mon propre corps", ou bien : "Ce sont toujours les hommes qui déclenchent les guerres". En revanche, Sissi n’est pas présentée comme l’intellectuelle qu’elle fut, lisant le grec ancien, parlant français, anglais et hongrois, familière des grands auteurs de son temps.

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe

1. "Corsage", Jeune Cinéma n°419, décembre 2022.

2. Ce texte, intitulé Aus den letzten Jahren der Kaiserin Elisabeth, a été publié par l’auteure en 1909, chez Adolf Holzhausen à Vienne. Il a été traduit en français sous le titre Mes années avec Sissi, Payot, 2008 (traduit et annoté par Alexandra Belfort).

3. Le Teddy Award, créé en 1987 à la Berlinale avec un jury international composé d’organisateurs de festivals de films gay et lesbiens, récompense les films qui célèbrent l’homosexualité.


Sissi & moi (Sisy und ich). Réal : Frauke Finsterwalder ; sc : F.F. & Christian Kracht ; ph : Thomas Kiennast ; mont : Andreas Menn ; mu : Matteo Pagamici ; cost : Tanja Hausner. Int : Susanne Wolff, Sandra Hüller, Stefan Kurt, Angela Winkler, Georg Friedrich, Annette Badland, Markus Schleinzer, Johanna Wokalek (Allemagne-Suisse-Autriche, 2023, 132 mn).



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