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Ohanian, Rajak (1933-2023)
Brève
publié le dimanche 3 décembre 2023

Jeune Cinéma en ligne directe
Journal de Solomon Roth 2023 (2 décembre 2023)


 



Samedi 2 décembre 2023

 

Rajak Ohanian (1933-2023) est mort le 7 novembre 2023, tout doucement sans faire de bruit, un peu comme il avait vécu et travaillé.


 

Nous avons appris sa mort par hasard, en consultant le site du Musée de l’immigration. Le Palais de la Porte dorée possède dans son exposition permanente une dizaine de ses photographies, et en 1999, il lui avait consacré une exposition personnelle. Il a mis en ligne un hommage, le 16 novembre 2023.


 

C’était un grand photographe, on l’avait comparé à Walker Evans (1903-1975), mais il n’a jamais eu la même notoriété internationale, bien qu’il ait régulièrement exposé ses œuvres à Paris et à l’étranger, à Brême, Mayence, Munich, Düsseldorf, Karlsruhe ou Essen, à Lausanne, à Bruxelles, ou à la Biennale d’art contemporain de Montréal. À Lyon, il était un enfant du pays, et tout le monde le connaissait, le respectait, le célébrait, en dépit (ou à cause) de sa modestie, comme un grand artiste, dont l’œuvre était faite à la fois d’un véritable engagement et d’une nécessité esthétique.

Né en 1933 à Décines, dans la métropole lyonnaise, de parents arméniens immigrés à la suite du génocide de 1915, il avait appris la photographie à 20 ans, et avait commencé à la pratiquer au théâtre, à partir de 1955, avec Roger Planchon.


 

C’est ainsi que dans les années 60 et 70, il était le photographe de ses spectacles, ainsi que de ceux de Jacques Rosner (1936-2022), à Lyon jusqu’en 1970, et bien sûr de ceux de Patrice Chéreau (1944-2013), au T.N.P. de Villeurbanne. Il photographiait aussi ceux de Marcel Maréchal (1937-2020), à Lyon jusqu’en 1975, ainsi que les mises en scène du fondateur de la Comédie de Saint-Étienne, Jean Dasté (1904-1994), et de son successeur à la direction entre 1970 et 1975, Pierre Vial (né en 1928).


 

Mais une scène de théâtre, c’est le contraire de la vraie vie. Ce qui l’intéressait, c’était les rencontres, celles venues du hasard ou celles qu’il provoquait. Il commença à réaliser les portraits des personnalités du monde culturel qu’il connaissait, Gaston Bachelard, Bram van Velde, Pierre Prévert, Richard Serra...


 


 


 


 

Dans le même temps, il partait à la découverte des autres mondes, réels eux, en France et à l’étranger, sur lesquels il menait, en quelque sorte, des enquêtes visuelles, des séries de photos, créant ainsi de véritables récits à la fois réalistes et personnels. C’est Londres (1960), New York (1973), l’Algérie (1977), l’Italie (1984). Mais ce sont aussi des rendez-vous réguliers.
Entre 1958 et 1967, après avoir découvert les rassemblements gitans des Saintes-Maries de la Mer, pendant plus de dix ans, il photographie la série Les Fils du vent.


 


 


 

En 1979 et en 1980, pendant deux ans, il s’installe dans une école désaffectée d’un village de Côte d’or, dont il tire une exposition de quarante-quatre portraits : Portrait d’un village - Sainte-Colombe-en-Auxois. De 1987 à 1989, il séjourne deux ans à Chicago : Chicago - Portrait d’une ville. En 1999, il photographie les 32 employés d’une entreprise d’impressions sur tissus de la banlieue lyonnaise : Portrait d’une PME (1999).


 


 

Les portraits d’anonymes qu’il réalise au cours de ces nouvelles sortes de rencontres, ne sont pas très différents de ceux des célébrités de ses débuts, il porte sur eux le même regard respectueux. À propos de cette dernière série, on lui avait demandé pourquoi il photographiait les employés immobiles, dans une posture de repos, tous dans le même cadre et sous une lumière égale. Et il avait répondu : "On peignait bien les rois en pied. J’ai voulu les saisir dans leur dignité". Et la dignité, on sait bien qu’elle n’est pas qu’intérieure, mais aussi traversée par les interférences sociales les plus aiguës. La comédienne Isabelle Sadoyan (1928-2017), lors d’un hommage qu’elle lui avait rendu à l’École normale supérieure de Lyon, le 7 février 2014 (1) déclarait que ses photos étaient presque un geste révolutionnaire.


 

Aussi avions-nous été surpris quand nous avions découvert, en 2017 et 2018, deux expositions à la Librairie Michel-Descours de Lyon, deux séquences anciennes de sa vie et de son œuvre, qui nous avait semblé comme une parenthèse abstraite d’une autre essence que ce que nous connaissions de lui : Métamorphoses I & II, (avec un beau catalogue).


 


 


 

En effet, en 1991 et en 1992, au tournant de sa soixantaine, il s’était tourné vers la Nature. Il s’était installé en Bretagne, pour travailler à partir des Métamorphoses de Ovide (1er siècle après J.C.) un ouvrage qui raconte l’histoire des origines de l’univers et dresse la généalogie des dieux, des héros et des hommes, depuis le chaos primitif. Rajak Ohanian avait réalisé l’année suivante, en 1993, la série Portrait de l’esprit de la forêt. S’il s’agissait toujours de la même méthode, une profonde immersion dans un milieu (social), il ne s’agissait pas d’un nouvel engagement qui aurait, par exemple, été de nature écologique. Cette fois, les photos étaient imprégnées d’une tentation animiste et porteuses d’un dialogue avec l’invisible. Cet étonnement était une méconnaissance. Il suffisait de se souvenir du regard que le photographe avait porté, en 1987 sur Chicago, comme sur une ville allégorique.


 

D’ailleurs, dès 2018, il avait récidivé avec Ce que racontent les arbres d’Alep, après ses deux voyages en Syrie, l’hiver 2005-2006, sur les traces de son père Garabed Ohanian, placé dans un orphelinat à la suite du massacre de son peuple en 1915.


 


 

Et son exposition Alep 1915 … Témoignages, n’avait plus guère de dimension réaliste.


 


 

Rajak Ohanian était un photographe engagé. Il était aussi un visionnaire.

Anne Vignaux-Laurent
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Ses galeries :

* Galerie Laurent Godin, Paris.

* Galerie Catherine Putman, Paris.

* Galerie Domus, Lyon.

* Institut d’art contemporain, Lyon.



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