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Green Border (2023)
de Agnieszka Holland
publié le mercredi 7 février 2024

par Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection officielle en compétition de la Mostra de Venise 2023
Prix spécial du Jury.

Sortie le mercredi 7 février 2024


 


En France, Agnieszka Holland (née en 1948), on la connaît surtout comme une des rares réalisatrices polonaises, et, surtout, comme appartenant à une génération particulière, ayant débuté durant les années 70, et ayant accédé à la reconnaissance internationale dans les années 80. Elle a travaillé avec Andrzej Wajda (1926-2016), puis avec Kryzsztof Kieslowski (1941-1996) et Krzysztof Zanussi (né en 1939), et elle les a rejoints dans le mouvement appelé Kino Moralnego Niepokoju, le "cinéma de l’inquiétude morale", (1976-1981), né à Gdańsk, qui revendiquait, face aux autorités communistes, une liberté d’expression sur les sujets socio-politiques, comme une sorte de préfiguration de la naissance de Solidarność, en 1980. Elle dit aujourd’hui : "En Pologne, dans les années 1970, ma génération de cinéastes a senti qu’elle avait la responsabilité de représenter les problèmes du monde et qu’il était nécessaire de parler de sujets difficiles et de poser des questions - non seulement existentielles, mais aussi éthiques, sociales et politiques à la fois".
Puis avait été proclamé l’État de siège (1981-1983), elle s’était alors exilée en France, en Allemagne aux États-Unis, et on avait perdu sa trace. Et c’est avec surprise qu’on avait découvert qu’elle avait participé à des séries aussi populaires que The Wire (2002-2008), Treme (2010-2013), ou House of Cards (2013-2018). Ensuite, on l’avait retrouvée avec L’Ombre de Staline (2019) et Le Procès de l’herboriste (2020). (1)


 


 

Aujourd’hui que sort son dernier film, Green Border, on peut constater qu’elle n’a pas changé, qu’elle est toujours cette cinéaste engagée, qui parle de son temps, et de l’un des plus grands défis mondiaux, la crise migratoire.
L’histoire se passe l’hiver 2021. On y fait d’abord connaissance avec une famille syrienne rejoignant des parents déjà installés en Suède, pour fuir la guerre, trois enfants dont un bébé déjà lourd qui pleure trop, covoiturés vers la frontière polonaise depuis l’aéroport de Minsk avec une dame afghane, Leila, en transit pour retrouver son frère à New York. Arrivés à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne, en quelques heures, ils passent du statut respectable de passagers aériens sur lignes régulières à celui d’intrus illégaux embourbés, sans toit, sans titres, sans autonomie, sans issues, assoiffés, affamés.


 


 

Le récit impressionnant - une fiction très documentée - (2) décrit une situation de crise humanitaire qui les dépasse. Il est incarné par trois points de vue qui donnent de la distance au propos. Il y a les exilés, qui nous sont devenus familiers, confrontés violemment aux autorités civiles et militaires, dont le jeune garde-frontière Jan, et aidés par les humanitaires du Grupa Granica, dont la psychologue Julia, des sauveurs qui ressemblent beaucoup à Cédric Herrou (3) et aux militants décrits par Didier Fassin (4).


 


 

Les personnages principaux ont une histoire, mais ils se trouvent fondus dans une masse informe, où d’autres ne font que passer sans laisser de traces. Tous sont des otages, instrumentalisés par le gouvernement biélorusse téléguidé par son allié russe, qui utilise les flux de migrants comme une arme de déstabilisation de l’Union européenne, et les militaires polonais endoctrinés, à qui on fait croire qu’il s’agit, en effet, d’une invasion planifiée.


 


 

La Pologne a reçu 1.5 million réfugiés ukrainiens, mais rejette globalement et violemment les autres voyageurs venant de l’Est, qu’ils veuillent séjourner ou juste transiter en Pologne. Une barrière de 5,5 m de hauteur sur 186 km a été édifiée sur sa frontière avec la Biélorussie, avec une zone de refoulement, où plus de 200 civils sont morts. Les migrants sont poussés à travers les rouleaux de barbelés et refoulés dès le franchissement de la frontière européenne.


 


 

Agnieszka Holland a réalisé ce film comme un acte militant pour contribuer à une prise de conscience salutaire de ses compatriotes sur les traitements irresponsables et cruels des voyageurs venant de l’Est. C’est sans doute à dessein qu’elle n’évoque pas la férocité des causes de l’émigration, pour qu’on ne détourne pas le regard.


 


 

Green Border a valu à la réalisatrice le prix spécial du jury de la Mostra de Venise 2023. Mais en Pologne, à la sortie du film en septembre 2023, Agnieszka Holland a été la cible d’une campagne de haine. Et cette reconnaissance internationale a été suivie de l’opprobre revancharde du gouvernement de droite nationaliste polonais, et de ses partisans reprenant abusivement un slogan de la Résistance polonaise à l’encontre des spectateurs des films allemands de l’époque nazie : "Seuls les porcs vont au cinéma".
Le film est peut-être pour quelque chose dans leur revers électoral de décembre 2023.

Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma en ligne directe

1. "L’Ombre de Staline", Jeune Cinéma n°399-400, février 2020.

2. La zone frontalière des trois pays voisins de la Biélorussie est interdite aux journalistes. Il aurait été impossible d’y tourner un documentaire.

3. Cédric Herrou, né en 1979, a été arrêté en 2016 pour avoir aidé plus de 150 migrants au passage à la frontière franco-italienne. Le 31 mars 2021, la Cour de cassation a confirmé définitivement sa relaxe.

4. Éric Fassin, né en 1955, anthropologue et médecin, administrateur de Médecins sans frontières (1999-2003), est, depuis 2006, président de l’ONG "Comité pour la santé des exilés". Il a été élu au Collège de France en 2019.


Green Border (Zielona granica). Réal : Agnieszka Holland ; sc : A.H., , Gabriela Lazarkiewicz-Sieczko & Maciej Pisuk ; ph : Tomasz Naumiuk ; mont : Pavel Hrdlicka ; mu : Frédéric Vercheval ; déc : Katarzyna Jedrzejczyk. Int : Jalal Altawil, Maja Ostaszewska, Behi Djanati Ataï, Tomasz Wlosok, Dalia Naous, Mohamad Al Rashi, Monika Frajczyk, Jasmina Polak, Agata Kulesza, Maciej Stuhr (Pologne-France-République tchèque-Belgique, 2023, 147 mn).



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