Mostra del cinema nuovo de Pesaro 2007
par Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°315-316, printemps 2008
La Mostra del cinema nuovo de Pesaro 2007 (1), dans sa rétrospective, a programmé aussi les sketches et les films de télévision de Luigi Comencini (2).
Senza sapere niente di lei (1969) est un thriller. Bra (Philippe Leroy-Beaulieu), assureur, mène une enquête sur la mort peu claire d’une grande bourgeoise, bénéficiaire d’une assurance sur la vie. Il est mal reçu par la famille, qui le met dehors et le renvoie à une jeune parente, qui s’est occupée de la vieille dame ; elle a quitté la maison et travaille pour un magazine de mode. Bra la retrouve, lui joue la comédie, l’invite à dîner, et finit la soirée chez elle. C’est au spectateur de décider s’il joue l’amoureux ou s’il s’est épris de sa beauté, de son intelligence, de son esprit libre. Cinzia (la toujours magnifique Paola Pitagora), en fin de parcours, lui révèle la vérité : elle a donné la mort à sa tante torturée par sa maladie. Bra décide de le faire chanter ; elle accepte ses conditions. En quelques plans secs, elle l’emmène en voiture et, accident, suicide ou vengeance, les fracasse contre un arbre. Luigi Comencini, autour de la trame policière, décrit une ville essentielle, mêlant plusieurs lieux, les restaurants de Rome et la gare de Milan, avec ses foules, ses galeries, ses magasins - toujours son intérêt pour le document.
Infanzia, vocazione, e prime esperienze di Giacomo Casanova veneziano (Casanova, un adolescent à Venise, 1969) est un film que Luigi Comencini estimait raté, dans la mesure où il avait déçu un public qui s’attendait aux amours multiples du personnage. Or le film s’arrête à la première conquête du séducteur. L’œuvre est tout autre chose : un hommage au peintre Longhi, une étude documentée sur la vie à Venise, son peuple, ses médecins, ses théâtres, ses fêtes, ses masques, ses barques et le fameux rhinocéros ; c’est avant tout son thème à lui, celui de l’enfance. Giacomo est un enfant silencieux qui regarde le monde, la pétulance de sa mère, une actrice sur le retour assoiffée de sexe et aussi l’effort de son tuteur, un intellectuel qui essaie de l’instruire. En fait, Giacomo est un enfant en liberté, heureux et curieux. Dans un deuxième temps, il entre en religion, formé par Zanello, un prêtre amoral, joué par un étonnant Lionel Stander, qui lui révèle tous les secrets de la vie en église, les mystères des jolies dames, les attitudes à prendre… L’épisode est chargé de morceaux de bravoure ; un sermon sur l’amour très applaudi par le public féminin, un exorcisme dont la phase cachée se mue en viol. Le finale est très bref : Giacomo a rendez-vous avec une de ses conquêtes, l’arrivée du mari le force à fuir, habillé en femme. Foin de ses habits de prêtre, il passe la nuit avec deux autres dames. Giacomo est devenu Casanova.
Lo scopone scientifico (L’Argent de la vieille, 1972) date des années noires de l’histoire italienne, et a connu en France un beau succès. On connaît l’histoire du pauvre Peppino, un Alberto Sordi qui se caricature merveilleusement, tout fier d’être invité chaque année par une milliardaire américaine (Bette Davies) qui lui prête de l’argent pour jouer avec lui et sa femme au jeu de cartes la scopa. Le spectateur est comme les pauvres des baraques romaines, pris au piège de l’espoir de devenir riches. Dans la seconde partie du film, Peppino gagne une somme géante et chacun dans le monde des baraques, rêve naïvement de richesse. L’un pense à une maison, l’autre à payer ses dettes, une prostituée à quitter son métier, le prêtre à son église etc. On pense au terrifiant film de Ettore Scola, Affreux, sales et méchants (1976), et sa périphérie romaine, où les enfants sont en cage, mais les jeunes rêvent de motocyclette pour imiter les riches. Certains détails font penser aux chefs-d’œuvre américains : un Joseph Cotten, ancien mari de la milliardaire qui le traite en domestique, un rappel de Orson Welles et du beau film de William Dieterle, Le Portrait de Jenny (1949). La confidence du domestique à Peppino, qui lui conseille d’arrêter le jeu et d’emporter son argent. La fin est terrible dans sa morale : on n’imite pas les riches, on les tue. C’est la leçon de la petite Cléopâtre, fille de Peppino, et le cadeau empoisonné qu’elle offre à la milliardaire Bette Davis.
En 1974, Delitto d’amore (Un vrai crime d’amour) (3) et Mio Dio, come sono caduta in basso (Mon Dieu, comment suis-je tombée si bas ?) tous deux filmés la même année sortent l’un après l’autre. Deux films sur une histoire d’amour, deux portraits de femmes. Dans le premier, Luigi Comencini décrit le monde ouvrier, l’arrivée d’une femme du Sud, fragile et tendre, dans une usine du Nord. Nullo Bronzi, un syndicaliste, l’aide et la protège. Ils s’unissent. Un changement d’horaire, la mort à l’usine et comme dans Lo scopone scientifico, Nullo apparaît, un revolver à la main et tue le directeur.
Le second film est situé en 1920 et décrit une Italie dévastée par le dannunzianisme. Eugenia, frustrée dans son appétit sexuel - son mari pourrait bien être un frère -, se donne à un prolétaire. Une longue séquence ridiculise le personnage, qui met un temps considérable à se défaire de ses jupon, corset, etc. Le critique Dario Marcori définit la séquence "un porno soft".
Entre deux films moins consistants, la comédie du Gatto (1977) et le parcours d’un jeune garçon tiré à hue et à dia par des parents divorcés, Voltati Eugenio (1980) apparaît L’Ingorgo-Una storia impossibile (Le Grand Embouteillage, 1979), le film le plus terrible, le plus riche en personnages, l’allégorie d’une Italie bloquée, sans avenir. Un film choral - plus de vingt protagonistes - et claustrophobe, quoique se passant en plein air. Un amoncellement de voitures coincées sans raison apparente sur l’autoroute Naples-Rome. Toutes les classes sont représentées : une famille napolitaine impose un avortement à la fille, un acteur fatigué - un Marcello Mastroianni vieilli - arrive à se faire inviter dans une maison proche et séduit une jeune fille, un politicien conduit par son chauffeur va rater son congrès dans la capitale, une artiste seule dans sa voiture a emporté son violon, un ménage à trois s’entend au mieux, un couple bourgeois se dispute à propos d’une clef perdue, un mourant reste coincé dans son ambulance, un livreur transporte dans son camion des petits pots de lait homogénéisés, une mère et sa petite fille muette ont rendez-vous avec un docteur, etc. Au début, chacun reste dans sa voiture, puis le temps passant, des rapports se créent, les vies s’entrecroisent ; l’artiste est violée par trois jeunes du quartier chic de Rome, le Parioli, sous les yeux de quatre maffieux. Trois séquences collectives se répondent : vers midi, tous les personnages jusque-là restés dans leur voiture sont poussés par leur besoin et défèquent entre les voitures. Vers le soir, tout le monde hurle des hourrahs et sort les drapeaux, car l’équipe italienne de football a gagné son match. Plus tard, le livreur répand ses petits pots et la foule se bat pour les ramasser - reprise d’une scène de même type dans Tutti a casa. Un groupe de jeunes communistes écoute un prêtre ouvrier. Quelques figures positives permettent au spectateur de respirer par instant.
Voltati Eugenio (Eugenio, 1980) est le portrait d’un enfant, proche de l’adolescence, perçu comme encombrant par ses jeunes parents, fils de 68 et divorcés, elle, Française, d’origine paysanne, et lui, bourgeois indolent. Au début un long plan-séquence insolite : dans une voiture, l’enfant fait écouter des cassettes bruyantes qui exaspèrent le conducteur. Celui-ci, dont nous ignorons le statut, le dépose au bord de la route et disparaît. L’enfant s’étonne de se retrouver seul et se balade tranquillement. Puis tout se désarticule, dans une suite de moments brefs, sans relation de causes à effets, ni précision temporelle. Des grands-parents inquiets, la prise d’un lapin, un passage à la police, Eugenio bébé, oublié par ses parents dans un train ; les rendez-vous d’Eugenio avec un petit garçon que son père, un paysan, force à travailler ; l’idée fondamentale du film est que des héritiers de 68 épris de liberté, elle féministe, lui homme à liaisons multiples, ne peuvent assumer leur tâche de parents. Comme toujours, Luigi Comencini regarde ses personnages et ne les juge pas. Ils sont formés par les aléas de l’Histoire et Eugenio, au nom ironique - le bien-né - est simplement oublié. Le finale rattrape le début, le gros bonhomme de l’auto lui recommande de se retourner, libéré des adultes. Un des moments forts du film : la reprise d’un de ses documentaires où un enfant de la bourgeoisie juge ses parents et compose un poème en musique. Une faiblesse du film : le jeu un peu gris et répétitif de l’enfant.
Le titre étonnant de son film de 1982, Cercasi Gesu (L’Imposteur), annonce le départ de l’intrigue ; l’évêché est à la recherche d’un visage pour une campagne d’affiches destinée à collecter de l’argent. L’évêque, dans sa belle voiture, ramasse, sur le bord de la route, un garçon trempé et une fille. Il est frappé devant son visage qui, avec quelques retouches, ferait un Jésus assez reconnaissable. Le sujet du film est la confrontation d’une église en quête de profit et d’un homme simple, bon et allant à la rencontre des autres, quels qu’ils soient. D’un côté, l’univers religieux qui fonctionne comme une entreprise avec ses bonnes sœurs cuisinières, domestiques, secrétaires, téléphonistes, balayeuses ; de l’autre, Giovanni, qui a perdu le sens de son passé, qui erre sur les routes, trouve une cabane à garder la nuit, et répare en sciant des planches les trous de son abri. L’évêque a le sens de la communication : on roussit les cheveux de Giovanni, on noircit ses paupières, on l’habille en rouge, on lui offre quelques milliers de lires. Sans succès. Une second intrigue côtoie la première, plus intégrée à la réalité : la jeune fille de la voiture avait oublié un revolver ; elle retrouve Giovanni et lui révèle son identité de terroriste. Il lui rend l’arme. Par ailleurs il est devenu l’ami d’un enfant infirme, cloué dans une petite voiture. La fin est ultra rapide, un journal annonce la mort de la terroriste, Giovanni est forcé de partir, il fait ses adieux à l’enfant, et disparaît ; l’image ultime montre l’enfant handicapé qui se lève. Giovanni est interprété par Beppe Grillo, un comique extrêmement populaire qui met à distance l’image du Christ.
La storia (1986) a été présentée dans une version cinéma de 152 minutes, plus courte que celle de la RAI. Luigi Comencini a simplifié le roman touffu de Elsa Morante et raconte l’histoire d’Ida, violée par un soldat allemand et partie sur les routes avec son enfant Nino, un épileptique. Le point de départ est violent : Ida rase les murs car elle est juive, cherche désespérément une sage-femme et met au monde un garçon dans le couloir d’un hôpital. Luigi Comencini s’en tient au voyage d’Ida et de son Nino qu’on retrouve à 4 ans. Quelques références à l’histoire italienne, le retournement de Badoglio, la répression allemande, les convois vers les camps, des échos de la Résistance, mais on suit surtout la vie de la mère et de l’enfant. Luigi Comencini présente une suite de scènes déconnectées. L’amitié avec un jeune garçon qui emmène Nino à dos d’âne, et dont on apprend plus tard sa mort comme résistant. La rencontre avec un soldat perdu : Nino a trouvé dans les bois un soldat blessé qui lui tend la main, il l’assomme lentement pour mieux le faire souffrir. Le convoi des réfugiés affamés a été reçu dans un hôtel où on peut dormir et manger : Ida pense à redevenir l’institutrice qu’elle a été. Une belle séquence montre la curiosité du petit Nino qui laisse sa mère endormie et explore les couloirs, les escaliers, les coins noirs de la maison, comme un retour de l’auteur à ses premiers documentaires sur les enfants en liberté jouant dans les ruines d’une ville. La mort attendue du petit enfant est toute simple, sans effets mélodramatiques : on voit Ida portant le cadavre de Nino et c’est la fin.
Luigi Comencini revient à son thème préféré dans Un ragazzo di Calabria (Un enfant de Calabre, 1987), sur un scénario de Ugo Pirro : la relation d’un enfant incompris à son père, et le père de substitution qu’il choisit. On retrouve le schéma de La finestra sul Luna Park. Le jeune Mimi à un rêve : devenir coureur, comme Abebe Bikila, le vainqueur du marathon olympique en 1960. Son père, Felice, l’en empêche, un conducteur de bus communiste le soutient. Mimi manque souvent l’école, ce qui fâche son père ; petit employé dans un asile, il admire l’école et veut faire de Mimi un bourgeois avec l’aide d’un mafieux. Il décide de punir son fils, et lui brise une jambe pour l’empêcher de courir. L’autre père - un Gian Maria Volontè méconnaissable -, le soigne et lui apprend les règles de la course de fond. "Pour des pauvres types comme nous, il faut jouer sur la longue distance et se garder pour le dernier parcours". Mimi, tôt le matin, fait la course avec la voiture de Gian Maria Volontè. Il est prêt pour le marathon de Rome, qu’il remporte. Les deux "pères" restés en Calabre découvrent à la télévision dans leur café, le succès de "leur" enfant, qui reste anonyme. Le film joue sur deux dimensions, celle du rêve - à un tournant du parcours apparaît sur un muret une belle jeune fille qui l’encourage d’un mouvement d’éventail -, et celle de la réalité calabrèse, dans les années du boom économique : l’emprise de la mafia, le machisme des hommes, les punitions cruelles, le tout accompagné d’une musique vivaldienne.
Luigi Comencini a parfois participé à des films collectifs. En 1964, il vend un de ses sujets à Dino De Laurentiis pour un film à sketches : La mia signora où Alberto Sordi et Silvana Mangano, interprètent trois fois un couple en difficulté.
Le cinéaste est chargé d’écrire et de réaliser Eritrea, moyen métrage de 42 minutes qu’il aurait voulu développer. Le sujet riquait pourtant d’être scabreux et vulgaire. Le mari, un Sicilien venu à Rome, a besoin d’une autorisation de travail. Un cardinal qu’il consulte lui conseille de jouer le cornuto et d’offrir sa femme au ministre. Alberto Sordi, à la place de sa femme, lui offre une prostituée. Le rythme est vif, le palais du ministre est filmé comme une scène de théâtre, et les personnages étaient dignes d’un traitement plus approfondi.
L’ascensore est l’épisode central de Quelle strane occasioni (La Fiancée de l’évêque, 1976), les deux autres étant dûs à Luigi Magni et à Nanni Loy (qui n’a pas signé). Le sujet est simple : le matin du 15 août, un évêque, porteur d’un gros bouquet, se laisse coincer dans un ascenseur avec une jeune fille revenue du marché avec ses provisions. Vingt-quatre heures à se regarder, à essayer d’atteindre le plafond, à se résigner à manger et finalement à faire l’amour. Un Alberto Sordi, plus réservé que d’habitude, et Stefania Sandrelli, dans un personnage de jeune imprudente, généreuse et naïve. Rien de vulgaire dans ce face-à-face d’une ingénue et d’un hypocrite. L’évêque explique à la jeune Donatella qu’il n’y a péché qu’avec le libre arbitre, sans lui, rien n’est arrivé. En fin de jeu, le Monseigneur a rejoint son amie du dimanche, et Donatella, elle, ayant bien réfléchi sur ce libre arbitre, téléphone à son copain : "Je peux te rejoindre, mais avec mon libre-arbitre, je reste à la maison". Le traitement est un prodige technique. L’ascenseur n’est pas un décor, il ne manque que le toit, et les trois opérateurs s’y sont faufilés en multipliant les gros plans de bas en haut, de gauche à droite et de travers.
Dès 1970, Luigi Comencini collabore avec la RAI pour la réalisation d’un documentaire I bambini e noi ; il interviewe un très jeune et pauvre enfant qui travaille dans un bar, Domenico Santoro, gamin espiègle qu’il utilisera en 1972 pour le rôle de Lucignolo dans Le aventure di Pinocchio (4). Avec ce film, il réalise là enfin ce qu’il attendait depuis longtemps, une œuvre de longue durée, qui lui permet une scansion plus libre. En trois heures trente minutes d’un sujet découpé en six épisodes, il rassemble tous les thèmes de ses films : le parcours d’un enfant en liberté, la vie des pauvres gens, la tentation repoussée d’une vie embourgeoisée, et surtout le rapport d’un père à son fils et inversement ; quand Pinocchio et Geppetto sortent de la baleine, le fils rassure son père : "Désormais, je m’occupe de toi". Une fable, certes, mais aussi un film réaliste. Les animaux, le chat et le chien sont joués par des hommes ; la Toscane et le Latium sont décrits dans leur pauvreté, leur misère, leurs conflits. En fait, l’enfant Pinocchio est impertinent, rebelle, intelligent.
En 1982, Luigi Comencini accepte l’offre de la Rai : faire une adaptation d’une heure du roman de Mario La Cava, Il matrimonio di Caterina, écrit en 1932, mais jamais édité qu’il a retrouvé seulement quarante-cinq plus tard. Le film se fait en famille avec ses deux filles, Cristina Comencini (née en 1956) et Francesca Comencini (née en 1961). C’est la tragédie d’une fille un peu laide, honteuse de ne pas être encore mariée, qui finalement se fiance avec un beau garçon sans le sou, attiré par une bonne somme d’argent. Dans un premier temps, le film a un déroulement dramatique : le père de Catherine va en ville, rencontre le beau Giuseppe et le ramène à la campagne. En fait, celui-ci s’intéresse surtout à la chasse. La seconde partie, tout intériorisée, fait sentir le malheur de Catherine, dont le fiancé a passé la nuit avec une servante. Luigi Comencini exprime la tristesse de Catherine, qui vivra dans sa solitude. Une histoire toute simple, l’avenir d’une vieille fille, et la trouvaille finale (qui n’est pas dans le livre) : "Il me plaisait comme il est".
Deux ans plus tard, en 1984, Luigi Comencini s’attaque au roman de Edmundo De Amicis, Cuore, en six épisodes hebdomadaires de 60 minutes. Le livre, destiné aux enfants, retrace l’histoire d’une classe, les conflits, l’intelligence d’un maître qui essaie et réussit à faire accepter une morale unitaire à des enfants de classes différentes. Une fois par mois, il raconte un épisode de la vie italienne. Le cinéaste garde la construction du livre, dans lequel Enrico, un enfant de la bourgeoisie, sur les conseils de son père, tient le journal de l’école, et on retrouve les caractères enfantins, le gros Garrone qui défend les plus faibles, Derossi le meilleur de la classe, le méchant Franti qui s’attaque aux infirmes et aux pauvres. Mais Luigi Comencini commence son récit par un flashforward : on découvre les personnages d’Enrico et d’autres, devenus officiers et partant à la guerre. Puis tout redevient un flashback dont il choisit les épisodes à son gré. Autre changement : les histoires édifiantes que le bon maître raconte chaque mois sont traités en films muets. Luigi Comencini, étonné de l’étonnant succès de Cuore, a voulu faire pour un public adulte une étude de ce succès. "J’aime les vieilles personnes comme j’aime les enfants", dit-il.
Il en donne la preuve dans une de ses dernières œuvres, Buon Natale… Buon anno (Joyeux Noël, bonne année, 1989), adaptation du roman posthume de Pasquale Festa Campanile. Un couple dans la soixantaine, Elvira et Gino (Virna Lisi et Michel Serrault), vit séparé, chacun servant de bonne à tout faire à leurs enfants : cuisine, courses, balayage, baby-sitting… Un début descriptif et réaliste. Après un incident mal interprété, la jalousie explose et l’amour de jeunesse renaît. Ils se donnent des rendez-vous secrets, se retrouvent dans un hôtel de passe, etc. Tous les tons se succèdent, le comique, le burlesque, le dramatique, la sentimentalité douce. Quand Elvira est obligée de suivre sa famille en vacances, Gino devient furibond, vole de l’argent, kidnappe sa femme. On les retrouve au bout du monde, seuls et libérés, dans une fin rêvée, qui tient de la fable, devenus gardiens de phare sans le spectre de la mort.
Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°315-316, printemps 2008
1. Mostra del cinema nuovo de Pesaro 2007
2. Cf. Rétrospective 1ère partie (1948-1966).
3. "Un vrai crime d’amour", Jeune Cinéma n°399-400, février 2020.
4. "Les Aventures de Pinocchio", Jeune Cinéma n°89, septembre-octobre 1975.