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Oshima, Nagisa (1932-2013) (e) II
Entretien avec Jean Delmas
publié le vendredi 19 mai 2017

Rencontre avec Nagisa Oshima (1932-2013)
À propos de L’Empire des sens (1976)

Jeune Cinéma n°96, juillet 1976


 


Jeune Cinéma : Dans tous vos films, vous marquez l’importance de la sexualité. Pourtant celui-ci, entièrement consacré au sexe, est différent des précédents. Pourquoi ?

Nagisa Oshima : La plus grande différence avec les films précédents provient de ce que celui-ci est une co-production franco-japonaise. La co-production est inutile pour certains autres films, mais, dans ce cas-ci, elle a été très utile pour nous, Japonais, en ce sens que j’ai pu dépasser certaines limites des films japonais.
Au Japon, à l’heure actuelle, si on produit un tel film comme film japonais, d’abord le laboratoire refuse de développer la pellicule, ensuite la censure ne le laissera jamais passer, ensuite la police saisira les copies.


 

J.C. : Mais ce que dans L’Empire des sens on trouve très peu, semble-t-il, c’est la réflexion sur la société japonaise, c’est l’aspect politique qui était beaucoup plus fort dans les précédents films.

N.O. : Je suis tout à fait d’accord. Mais ça ne me gêne pas. À mon avis, les attitudes ou les comportements des personnages de L’Empire des sens sont tout à fait apolitiques, et le fait qu’ils soient apolitiques est pour moi tout à fait politique. L’époque dont le film traite, c’est une époque où personne ne parlait de la sexualité pour les femmes. Il y avait une anecdote à propos d’un général grand héros de la nation pour la guerre russo-japonaise. On disait : Comment est-ce qu’il fait l’amour avec sa femme ? Peut-être il monte sur sa femme comme il monte sur un cheval en disant "Pardon, c’est pour la gloire du pays". C’était à ce point-là que la sexualité pour la femme ou que la liberté du sexe était tellement refoulée. C’est tout à fait admirable qu’une femme comme celle qui est l’héroïne du film, soit si libre dans son amour.


 

J.C. : Oui, mais pour nous au moins, rien ne situe le film dans le temps, à part un défilé de soldats.

N.O. : Je considérais que le film n’avait pas besoin de cette séquence du défilé de soldats. Mais une petite racine de gauche qui existe toujours en moi m’a poussé à l’ajouter.


 

J.C. : Ce que vous dites là indique chez vous une dépolitisation.

N.O. : Ce n’est pas la question de dépolitisation. Mais à mon sens, la position qu’on prend vis-à-vis de la politique est en train de changer non seulement chez moi, mais aussi dans le peuple japonais. On dit, au Japon, que la politique est une notion qui est loin de la beauté. Après la guerre, tous les Japonais préféraient s’engager dans la politique. Et maintenant, on veut arriver à la beauté en n’étant pas concernés par la politique.

Propos recueillis par Jean Delmas
Cannes, mai 1976
Jeune Cinéma n°96, juillet 1976

* Cf. aussi "L’Empire des sens", Jeune Cinéma n°96, juillet 1976.


L’Empire des sens (Ai no korīda). Réal, sc : Nagisa Ōshima ; ph : Kenichi Okamoto & Hideo Itō ; mont : Keiichi Uraoka & Patrick Sauvion ; mu : Minoru Miki. Int : Eiko Matsuda, Tatsuya Fuji, Aoi Nakajima, Yasuko Matsui, Meika Seri, Kanae Kobayashi, Taiji Tonoyama, Kyôji Kokonoe, Naomi Shiraishi (France-Japon, 1976, 108 mn).



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