par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n°430, été 2024
Sélection officielle en compétition du Festival international du film de Hong Kong 1983
Sortie le mercredi 19 juin 2024
Nomad est le troisième long métrage de Patrick Tam, réalisé en 1982 après The Sword (1980) et Love Massacre (1981). Le cinéaste - dont le nom complet est Patrick Tam Kar-ming - a fait partie de la Nouvelle Vague hongkongaise apparue dans la deuxième moitié des années soixante-dix, comptant bien battre en brèche la toute-puissance des studios des frères Shaw (1). Inédit en France jusqu’à aujourd’hui, Nomad sort en salle superbement restauré, intégrant les scènes qui avaient été censurées à l’époque dans son pays. Le film s’intéresse à la jeunesse de son temps, aux rapports entre les générations, entre les sexes et au changement des mœurs.
En montage parallèle, Patrick Tam nous présente une famille modeste mais joviale, habitant un appartement surpeuplé dans un HLM crasseux, et une autre famille de gens fortunés.
Dans la première, le fils, Pong (Ken Tong), ayant annoncé qu’il recevrait sa petite amie, on lui laisse le champ libre. La mère et la tante vont au cinéma, les hommes s’éclipsent pour jouer ailleurs au mah-jong. Seul son petit frère lui fait des niches, interrompant sans cesse les préliminaires que le couple poursuivra à l’étage d’un bus à l’impériale, devant un passager horrifié (scène coupée à la sortie du film).
Chez les riches, dans une superbe demeure, Louis, jeune homme mélancolique (Leslie Cheung), est à son piano et joue en écoutant la voix de sa mère disparue. Il reçoit la visite de sa cousine Kathi, de retour du Japon avec une aura d’exotisme, vêtue d’un kimono immaculé à liséré rouge. Elle exécute une danse de kabuki, maniant artistement un éventail écarlate devant un mur jaune d’or.
Effronté ou sophistiqué, l’érotisme est omniprésent dans Nomad. Les rôles sexuels changent sous nos yeux : ce sont les femmes qui aguichent, qui attirent, qui provoquent. La meilleure scène du film est sans doute celle de la piscine montrant Pong en malheureux maître-nageur, assailli par un essaim d’adolescentes qui le jettent à l’eau et le dépouillent de son slip de bain - le gag étant capté en caméra sous-marine. Après l’arrivée de Tomato (la photogénique Cecilia Yip), qui a abordé Louis dans un bar, les deux couples de classes différentes s’installent ensemble chez ce dernier. La maison a vue sur mer, devant son voilier Nomad.
Patrick Tam cite La Chinoise de Jean-Luc Godard (1967). Mais notre bande des quatre ne songe nullement à changer le monde. Elle préfère s’adonner au farniente et cultive l’hédonisme. Le nom du Wanderer de Nietzsche (2) est bien évoqué, mais probablement en référence au nom du bateau. Lorsque survient un ex de Kathi, en rupture de ban avec l’Armée rouge japonaise qu’il a à ses trousses, les choses se gâtent. On se trouve alors dans le climat, sardonique et inquiétant du Fassbinder de La Troisième Génération (1979). Le rythme du récit fléchit.
Le film s’achève sur la plage par une scène de carnage ajoutée par la production, Patrick Tam, en désaccord sur ce point, s’étant refusé à la tourner. Malgré cela, Nomad est une œuvre magnifique, pleine de drôlerie et d’énergie. Grâce à ses excellents jeunes comédiens, à son esthétique pop, à son recours aux couleurs primaires et aux éclairages rouges et bleutés, le film garde sa fraîcheur et son éclat.
Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n°430, été 2024
2. Der Wanderer und sein Schatten (Le Voyageur et son Ombre) de Friedrich Nietzsche est un recueil d’aphorismes publié pour la première fois en décembre 1879 puis inséré dans le tome II de Humain, trop humain (1880).
Nomad (Lie huo qing chun). Réal : Patrick Tam ; sc : Joyce Chan ; ph : David Chung, Peter Ngor, Bill Wong ; mont : Kwok-Kuen Cheung ; mu : Man-Yee Lam. Int : Cecilia Yip, Leslie Cheung, Pat Ha, Ken Tong, Yip Ha-lei (Hong Kong, 1982, 96 mn).