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Paris, Texas (1984)
de Wim Wenders
publié le mercredi 3 juillet 2024

par Henry Welsh
Jeune Cinéma n°160, été 1984

Sélection officielle en compétition du Festival de Cannes 1984
Palme d’or

Sorties les mercredis 19 septembre 1984, 16 juillet 2014 et 3 juillet 2024


 


À quoi peut ressembler Paris sinon à un désert brûlant ? Au Texas, où nous suivons, de façon imaginaire, les conducteurs du film de Wim Wenders. Le Texas, un État des USA qui est chargé de tout un fardeau de rêves, d’histoires, de folklore. Un lieu original vers lequel la grande mythologie nord-américaine converge. Un lieu originel selon Travis (un des personnages principaux du film) où il fut conçu. À Paris... Texas, une suspension s’impose entre les deux noms, comme une énigme, comme une intrigue. Pour que l’on s’y perde. Ce qui arrive à Travis, marcheur solitaire en provenance d’une frontière - laquelle exactement ? - que l’on voit au début de cette recherche de soi à travers une reconnaissance filiale. Travis jetant son dernier bidon d’eau comme s’il se dépouillait de toute vie, de toute parole, est recueilli par un hôpital du coin.


 


 


 

Seulement il ne parle pas, n’a pas de papiers autres qu’une photo et une carte de visite avec un numéro de téléphone à Los Angeles, non loin d’Hollywood, où travaille Walt, son frère. Curieusement, la piste de Travis va du désert à la capitale du cinéma. Son identité même, il la retrouve, et nous la retrouvons avec lui, à travers le film par le truchement initial du cinéma. Ce qui rappelle l’interrogation de Rüdiger Vogler face à Lisa Kreuzer dans Alice dans les villes (1) sur la réalité ou plutôt sur la matérialité du monde environnant, là les photos polaroïds servaient de support.


 


 


 

Travis est hébergé par son frère, qui avait recueilli son fils Hunter pendant les quatre ans de sa disparition. Petit à petit, il retrouve le contact avec le jeune garçon qui, du coup, a le sentiment de se retrouver avec deux pères. Une des scènes les plus émouvantes tient justement à la projection d’un film de famille vieux de quatre ans qui permet par les images de renouer le lien du père et du fils. Mais qui produit une rupture dans la relation entre Anne, la femme de Walt, et Hunter.


 


 


 

Le rôle de la mère adoptive ne comble pas le désir qu’éprouve Hunter de retrouver sa véritable mère. Alors qu’Alice donnait l’impression de s’en foutre, le jeune garçon semble ressentir douloureusement l’absence de sa mère et décide spontanément de suivre Travis lorsque celui-ci partir à la recherche de celle-ci. Une décision difficile à prendre dont la tension est fort habilement tenue, puis relâchée par la séquence suivante où l’on voit le jeune Hunter, penaud, téléphoner à la place de son père à son oncle pour lui annoncer qu’il est parti.


 


 


 

Peu à peu le personnage de Travis prend de l’épaisseur : tel un enfant, il apprend à se situer à la fois par rapport à ses proches, mais aussi dans sa façon de bouger, de marcher. Sa démarche d’halluciné du début est devenue une gambade avec son fils, son visage inerte s’est éclairé à présent de sourires. À moins que cette transformation ne soit que le symbole d’un apprentissage du rôle de père... un rôle que l’acteur Harry Dean Stanton maîtrise parfaitement. Comme si, tout d’un coup, Wim Wenders renvoyait, à travers la question de la paternité, toute l’ambiguïté du métier d’acteur, comme si tout au long du film la quête de Travis s’apparentait à celle de Harry Dean Stanton vers son personnage adéquat. Et cette quête infinie ne conduit pas Travis à la rencontre.


 


 


 

Jane, la femme qu’il recherche, est un simulacre, cachée derrière un "système de miroirs" où elle est vue sans voir qui la regarde. De fait, la reconnaissance de Jane est virtuelle, les visages superposés de Travis et de sa femme sont recueillis un instant par un miroir et le reflet s’échappe. Notre imaginaire aussi qui rebondit d’une face à l’autre sans savoir comment s’appuyer sur des images truquées, sur des personnages abolis, sur une histoire qui pourrait être la nôtre.


 

Puis la route à nouveau vers ce lieu originel, Paris, Texas, figuré sur la photographie. Cette volte ressemble à une initiation - soutenue par une partition musicale accordée impeccablement aux images - que Wim Wenders propose, en même temps qu’il filme encore et encore des personnages qui bougent et se rapprochent insensiblement de nous. C’est, plus rigoureux encore, le cinéma comme raccourci de la vie.

Henry Welsh
Jeune Cinéma n°160, juillet-août 1984

1. "Alice dans les villes", , Jeune Cinéma n°104, juillet 1977.


Paris, Texas. Réal : Wim Wenders ; sc : Sam Shepard, L. M. Kit Carson ; ph : Robby Müller ; mont : Peter Przygodda ; mu : Ry Cooder ; déc : Anne Kuljian ; cost : Birgitta Bjerke. Int : Harry Dean Stanton, Nastassja Kinski, Dean Stockwell, Aurore Clément, Hunter Carson, Bernhard Wicki, Viva, John Lurie (Paris, Texas, 1984, RFA-France-Royaume-Uni-USA, 147 mn).



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