par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe
Bram Stoker Awards 2004
Saturn Award 2005 de l’Academy of Science Fiction, Fantasy & Horror Films
Sorties les mercredis 27 juillet 2005 et 30 octobre 2024
Edgar Wright, ce réalisateur issu de l’expérimental, débuta sa carrière à la télévision britannique avec une sitcom de quatorze épisodes, diffusés entre 1999 et 2001, Les Allumés (Spaced). Son succès fut tel qu’il donna un sacré coup de jeune à la chaîne anglaise Channel 4. Tous les membres de l’équipe avaient moins de trente ans, la série traitait des problèmes des post-adolescents, on y parlait comme eux, on y vivait comme dans la classe moyenne du pays. Les protagonistes sont amateurs de jeux vidéo, de cinéma de genre et de bande dessinée. Edgar Wright et son co-scénariste Simon Pegg tentèrent leur chance sur le grand écran dans ce créneau de la british comedy. Cet essai fut, là encore, remporté. Nick Frost, vieux copain et colocataire de Simon Pegg au temps des vaches maigres, se joignit au duo et interpréta le rôle d’Ed, à ses côtés, lui qui tint celui de Shaun. Le contraste physique entre les deux compères rappelle celui de Laurel et Hardy.
Les auteurs truffèrent leur scénario de détails autobiographiques et surfèrent sans doute aussi sur la vague de la série américaine Friends (1994-2004). Deux colocations distinctes situées dans le nord de Londres y sont évoquées. La première, filmée de l’intérieur, compte trois garçons : Shaun, sous-chef dans un magasin d’électro-ménager ; Ed, chômeur, perpétuellement vautré sur le canapé, un peu dealer de haschich sur les bords ; un troisième larron, non identifié, toujours de mauvais poil, apparaît de loin en loin et semble exclu du couple d’amis. Dans la deuxième bande, figure un intello qui se dira pacifiste et deux mignonnes entre lesquelles son cœur balance. Il se trouve que l’une d’elles, Liz, serveuse au pub Winchester, est plus ou moins fiancée au rôle-titre du film. Elle ne se fait pas trop d’illusions sur son avenir à ses côtés. Cet établissement orné d’une carabine est le lieu principal de l’intrigue.
Au bout d’une demi-heure de prologue, le film change de genre du tout au tout. Entrent en scène d’abord deux, puis une armada de créatures vacillantes, chancelantes, le regard vitreux. On les prend d’abord pour des ivrognes. Le fait est qu’elles commencent à mordre les premiers venus et finissent par transformer ce faubourg paisible de la capitale en champ de bataille de bataille.
C’est Edgar Wright, passionné de films d’horreur, qui décida d’introduire le thème des zombies dans cette histoire d’adolescents attardés. D’où la fusion entre comédie foutraque et épouvante. Le but étant d’utiliser le cinéma comme "un cheval de Troie permettant de faire un film de genre et de passer en contrebande beaucoup d‘autres choses". Shaun of the Dead n’est pas un film de cinéphile remontant aux classiques des années 1920 et 1930. On y rend hommage à George A. Romero, l’auteur de Night of the Living Dead (1968) et, précisément, de Zombie (1978). (1). D’autre films sont cités en passant qui payent un tribut au genre, tout en pastichant ce qui était déjà une parodie. Les deux scénaristes ont de leur propre aveu été inspirés par Mel Brooks et son Young Frankenstein (1974) et par An American Werewolf in London (1981) de John Landis. D’autre part, le long métrage file la métaphore de la vie moderne et de ses citoyens qui, à leur insu, sont déjà des morts-vivants. Ne suffit-il pas ne suffit-il pas de les voir hébétés dans l’autobus, abrutis par la bière ou isolés du monde par leur smartphone ?
Mais Shaun of the Dead se garde de verser dans le moralisme et le traitement des zombies n’est pas non plus lié au thème du rejet de l’autre. Le film libère la volupté de se battre, comme dans le sport, et de tout casser. L’autorité qui parle à travers la télé est d’ailleurs complice ; "Saisissez-vous d’une batte de cricket ou d’une pelle. Visez la tête et décervelez !"
La réalisation est épatante et, du point de vue technique, éblouissante, qui emprunte à la culture pop, à la publicité et, on l’a dit, à l’imagerie des video games. Les auteurs renouent avec les catégories du grotesque et de l’absurde, avec les courses-poursuites Dada. Ils ne lésinent pas sur les mots d’esprit dont raffolent les Anglais. Le montage est effréné, multipliant les angles, les zooms, les panoramiques, les ralentis et se passant d’effets de transition. La fluidité est fortifiée par la bande son qui reprend nombre de standards des années 1970-2000, tels "If You Leave Me Now" (Chicago, 1976), "Dont’Stop Me Now" (Queen, 1979) "Hip Hop, Be bop (don’t stop)" (Man Parish, 1983) ; "Panic" (The Smiths, 1986) ; Zombie Nation (Kernkraft 400, 1999). Et, pour terminer en beauté, "Everybody’s Happy Nowadays" (Ash, 2004).
Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe
1. Cf. "George A. Romero. La tétralogie des zombies," Jeune Cinéma n°298-299, automne 2005.
Shaun of the Dead. Réal : Edgar Wright ; sc : E.W. & Simon Pegg ; ph : David Dunlap ; mont : Chris Dickens ; mu : Dan Mudford et Pete Woodhead ; déc : Marcus Rowland ; cost : Annie Hardinge. Int : Simon Pegg, Kate Ashfield, Nick Frost, Lucy Davis, Dylan Moran, Bill Nighy, Penelope Wilton, Peter Serafinowicz, Jessica Stevenson, Rafe Spall, Martin Freeman, Julia Deakin, Reece Shearsmith, Tamsin Greig, Matt Lucas, Chris Martin (Grande-Bretagne-France-USA, 2004, 95 mn).