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Courcol, Emmanuel (né en 1957)
Entretien avec Gisèle Breteau Skira
publié le mercredi 27 novembre 2024

Rencontre avec Emmanuel Courcol et Irène Muscari
À propos de En fanfare (2024)

Jeune Cinéma n°431-432, octobre 2024


 


Jeune Cinéma : Prenez-vous un personnage au sein d’un groupe pour tisser une histoire autour de lui ou est-ce l’inverse ? Vous avez d’abord un personnage et vous créez un groupe ?

Emmanuel Courcol : À l’origine, je m’attache à un personnage, à l’histoire de quelqu’un.

Irène Muscari : On a un personnage et on se pose la question : "Quel est ce personnage qui apporte une histoire et comment peut-il coller à l’histoire ?" À partir de là, petit à petit, on va l’accompagner, puis on l’entoure d’autres personnages nécessaires pour rendre l’histoire plus belle et plus véridique.

J.C. : Donc le premier personnage était le chef d’orchestre ?

I.M. : La première idée de Emmanuel Courcol, c’était de faire se rencontrer deux mondes. Que se passe-t-il lorsque le monde de la musique classique rencontre le monde de la musique populaire ? L’idée du grand chef d’orchestre est venue pour qu’il puisse croiser quelqu’un qui joue dans une fanfare. Et à partir de là on imagine : "Et si c’étaient deux frères ?" et "S’ils ne se connaissaient pas ?"


 


 

J.C. : Oui, c’est assez extraordinaire, car, effectivement, ils n’ont rien à voir ensemble. Justement, souhaitez-vous, par le cinéma, proposer d’autres façons de vivre dans une société plus juste, plus clairvoyante ? Avec le cinéma on apprend à vivre, vous ne pensez pas ?

E.C. : Individuellement, oui, sans doute. C’est une petite expérience émotionnelle qui, dans le meilleur des cas, peut agir modestement au plus profond de nous, réveiller un petit truc endormi, susciter une envie… ou tout simplement faire du bien momentanément. Sur ce plan, il faut avoir des ambitions assez modestes. Mais nous avons déjà eu des retours de spectateurs dans ce sens : "Il y a longtemps que je n’avais pas ri… ou pleuré au cinéma… ", "J’ai perdu mon père récemment, vous m’avez fait du bien…" C’est déjà énorme de réparer, même petitement, même temporairement, une blessure.

J.C. : Face à votre foi dans le devenir d’un individu, faites-vous une place à l’échec ou au renoncement ?

E.C. : Non, mes personnages ne renoncent pas.

I.M. : Prenons par exemple Jimmy, qui vit un échec. il décide cependant de rentrer dans le monde de son frère. Il n’y arrive pas, mais en revanche, il vit une grande transformation, une véritable évolution, quand il parvient à la fin à diriger cet ensemble musical dans un lieu normalement dédié à la musique classique. Pour réfléchir à l’échec finalement, il faut revoir les ambitions de chacun et Jimmy voulait ce qu’il a fait et il a réussi ce qu’il souhaitait atteindre.


 


 


 

J.C. : Quelle est votre méthode de travail dans l’écriture des dialogues et comment avez-vous une telle connaissance de l’être humain et une telle attention à l’autre ?

E.C. : Nous écrivons à quatre mains, en direct. Le fil de notre écriture s’affiche sur grand écran, c’est un dialogue permanent entre nous. Quant à la connaissance, toute relative, de l’être humain, c’est peut-être le privilège de l’âge, mais on n’a jamais fini d’apprendre dans ce domaine. Et ça demande en effet une attention à l’autre, au monde qui nous entoure, de la curiosité et de l’empathie. Ça tient chez moi de l’héritage familial, mes parents étaient comme ça, ils nous ont élevés ainsi. Je fais de mon mieux, mais Irène est bien meilleure que moi dans ce domaine.

J.C. : Vous êtes un humaniste…

E.C. : Oui, on dit que je fais un cinéma humaniste.

J.C. : Comment peut-on écrire un scénario à trois personnes, comme vous l’avez fait en adaptant Welcome, un texte d’Olivier Adam, pour le film de Philippe Lioret, ou à deux et comment s’organisent les apports de chacun ?

E.C. : On n’écrit jamais vraiment à trois personnes. En tout cas, moi, je ne peux pas. Il peut y avoir des interactions ponctuelles avec d’autres intervenants, on peut croiser les regards, mais l’écriture, c’est pour moi un tête-à-tête, parfois avec soi-même, mais surtout, et bien mieux, avec le bon partenaire quand on a la chance de l’avoir trouvé.

J.C. : Vous avez chacun un personnage ?

E.C. : Non.

I.M. : Au départ, le texte est inconnu et il prend forme, sous nos yeux, là, sur cet écran, le texte est là, on avance, et on discute : "Ce genre de personnages ne dirait jamais ça !". Alors on modifie… Ce qui arrive parfois, c’est que nous n’avons pas la même vision du personnage. C’est là qu’intervient tout le travail de la coécriture. C’est de cette façon que l’on nourrit un personnage, en faisant se rencontrer deux visions différentes.


 


 


 

J.C. : Lors de l’écriture, pensez-vous au rythme du film, et si oui, de quelle manière le notez-vous ? Est-ce un peu comme une partition musicale ?

E.C. : Nous ne sommes pas musiciens, mais c’est vrai, nous avons l’amour de la musique. Il y a quelque chose de la composition musicale dans notre approche, avec ses mouvements, son rythme, ses variations, ses couleurs. C’est une question d’oreille, pour les dialogues, on sent quand ça sonne juste, quand il faut du silence, de la rupture. Même chose pour le récit lui-même avec ses questions de tempo. C’est très intuitif comme le rubato…

J.C. : Avez-vous des images présentes à l’esprit lorsque vous écrivez ?

E.C. : Oui, bien sûr, pas forcément les mêmes avec Irène Muscari, mais on a besoin d’une représentation mentale des personnages, de l’espace, du décor… Je décris l’action à laquelle je me suis donné d’assister. C’est le cerveau, nos cerveaux qui improvisent, c’est assez ludique en fait. On essaye de suivre avec la plume… ça, c’est le premier jet. Après on revient dessus, on ajuste, on rabote, on polit, on transforme ou on jette… Après, au tournage, ça devient autre chose. C’est une nouvelle création avec les vraies gueules, les vrais décors, et de nouvelles propositions ou des contraintes inattendues. On fait avec.

J.C. : La fanfare de Walincourt, la chanson de Charles Aznavour, l’orchestre, le jazz, autant de genres musicaux qui se mêlent dans un éclectisme parfait. Pensez-vous que l’on puisse être ouvert à toutes formes artistiques ?

E.C. : Ouvert, je ne pense pas, mais on peut au moins proposer. C’est un film de rencontres musicales et humaines avec des propositions de découvertes offertes au spectateur qui apporte ses propres goûts dans la salle. Chacun se débrouille avec ça.


 


 

J.C. : Les acteurs, Benjamin Lavernhe, Pierre Lottin ou Sarah Suco, sont formidables, les classes sociales sautent aux yeux, pas besoin d’en rajouter. Comment les avez-vous choisis et comment leur avez-vous demandé de travailler ?

E.C. : Déjà, je ne choisis que des gens avec qui je pense bien m’entendre sur le tournage. Et rôles principaux, secondaires ou petits rôles, je me comporte de la même façon. J’essaye de les mettre en confiance, qu’ils se sentent considérés, choisis et importants dans le film. Pour les rôles principaux, je veux aussi qu’ils se sentent libres de proposer, de me surprendre. C’est essentiel pour moi d’utiliser tout leur potentiel créatif.

Propos recuellis par Gisèle Breteau Skira
Paris, le 10 septembre 2024
Jeune Cinéma n°431-432, octobre 2024

* Cf. aussi "En fanfare", Jeune Cinéma n°431-432, octobre 2024.


En fanfare. Réal : Emmanuel Courcol ; sc : E.C., Irène Muscari, Khaled Amara, Marianne Tomersy & Oriane Bonduel ; ph : Maxence Lemonnier ; mont : Guerric Catala ; mu : Michel Petrossian ; déc : Rafael Mathé ; cost : Christel Birot. Int : Benjamin Lavernhe, Pierre Lottin, Sarah Suco, Jacques Bonnaffé, Anne Loiret (France, 2024, 103 mn).



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