Niels Arestrup (1949-2024) est mort hier, 1er décembre 2024.
Tous les médias ont largement parlé de lui, et c’est justice, insistant, comme il se doit, sur les récompenses, 3 César (dans des seconds rôles) et 4 Molière.
Et évoquant uniquement les films qui l’ont fait connaître du grand public, alors qu’il allait déjà sur sa soixantaine.
* De battre mon cœur s’est arrêté de Jacques Audiard (2005).
* Un prophète de Jacques Audiard (2008).
Et le délicieux Quai d’Orsay de Bertrand Tavernier (2013), où il avait le beau rôle, sinon le premier rôle.
Niels Arestrup n’était pas une "star" et et il n’a jamais voulu en être une, on ne concevait pas un film à partir de lui, il n’était pas "bankable", comme on dit. Il n’était pas du tout ignoré, mais son importance dans le cinéma français était spéciale, hybride, ambiguë, il était un acteur de poids, parfois, on ne retenait que lui et son personnage, mais il n’était pas une vedette, pas un premier rôle. C’est un peu comme si sa mort l’avait promu dans les chaumières.
Longtemps, à chaque nouveau rôle, au cinéma comme au théâtre, et aussi à la télévision, on pouvait se dire qu’il était une découverte à soi. C’est ainsi qu’on a pu flasher sur lui, dès ses débuts. Par exemple, il fut un inoubliable Lopakhine, dans La Cerisaie de Anton Tchekhov, sous la direction de Peter Brook, au début des années 1980, riche marchand parvenu, et toujours moujik. Rétrospectivement, maintenant qu’on en sait plus sur ses origines familiales, on comprend où l’acteur avait pu puiser en lui tant de sincérité et de puissance.
Ses origines ne sont pas anecdotiques. Son père était danois, en 1943, il avait fui son pays envahi par les Allemands, il pensait s’embarquer pour les USA, mais il avait rencontré une Française. Ils s’installèrent en banlieue parisienne et, après la naissance de leur fils unique, devinrent une famille ouvrière comme les autres. Niels Arestrup, lui, mauvais élève, fit quelques belles rencontres, dont Samy Pavel (né en 1944) et Tania Balachova (1902-1973), et commença, à 24 ans, en 1973, une longue carrière de 91 films. Pendant 50 ans, il n’aura jamais cessé de tourner, et n’aura eu aucune éclipse, avec des apogées, et, la plupart du temps, des films solides.
Cette carrière a été essentiellement française, la France aura été la destination finale de sa famille. Les USA ne furent pas pour lui, pas plus que pour son père, à part un tout petit rôle dans un film au succès d’estime de Steven Spielberg, War Horse (2011), ou de loin, avec Julian Schnabel, deux films, Le Scaphandre et le Papillon (2007) et At Eternity’s Gate (2018).
De temps en temps, il eut aussi des opportunités européennes, la Suisse avec Francis Reusser, en 1976 et 1981, l’Italie avec Marco Ferreri en 1984, la Hongrie avec István Szabó (1991) l’Allemagne avec Volker Schlöndorff en 2014 et 2017. Mais dans l’ensemble, professionnellement, il ne voyagea pas.
Et puis il y a eu le théâtre entre 1973 et 2021, et presque chaque année une création, avec les grands de la Décentralisation, particulièrement Roger Planchon (1931-2009), Peter Brook (1925-2022), Gabriel Garran (1929-2022), Maurice Bénichou (1943-2019), Andréas Voutsinas (1932-2010), Philippe Adrien (1939-2021)...
Il disait : "Le cinéma n’a jamais eu le caractère de gravité du théâtre. Sur scène, on est lâché pendant une heure et demie au minimum. Tout peut arriver, du trou de mémoire à la crise cardiaque. Le théâtre est plus martyrisant pour le comédien".
Il disait aussi : "Tourner un film est plus ludique que le théâtre. On part un mois ou deux avec plein de gens, on boit, on est ailleurs, on déconne..."
Il ne choisit pas, il fit les deux.
Curieusement, dès le début il travail aussi pour la télévision, en même temps, de 1974 à 2022. Chacune de ses apparitions était une surprise. On se souvient particulièrement d’une de ses dernières, Baron noir la série créée par Éric Benzekri & Jean-Baptiste Delafon, avec Kad Merad et Anna Mouglalis (2016-2022). Et aussi de la mini-série créée par Bruno Merle & Olivier Abbou, Papillons noirs (2022), avec Nicolas Duvauchelle. Là, on a senti que quelque chose de lui, de son art, était en train de finir.
Maintenant qu’il est mort, nous reviennent aussi toutes sortes d’images, des silhouettes, des petits rôles de ses premiers films, pendant la trentaine d’années qui a précédé sa célébrité. Par exemple, le camionneur de Je, tu, il, elle de Chantal Akerman(1974).
Ou bien on est étonné de voir figurer dans sa filmographie Stavisky de Alain Resnais (1974). Il faut dire que, dans le film, le secrétaire de Trotski, on ne le voyait guère. En revanche, on se souvient de l’avoir carrément découvert, avec sa beauté et sa jeunesse, dans Demain les mômes de Jean Pourtalé (1976), aux côtés de Brigitte Roüan.
Dans les années 2010, il tourna pratiquement 2 ou 3 films par an. On n’a pas oublié Tu seras mon fils de Gilles Legrand (2011).
Et pas non plus À perdre la raison de Joachim Lafosse (2012).
Son dernier film, Divertimento de Marie-Castille Mention-Schaar (2022), tient une place particulière. Comme souvent, il y a à la fois un rôle référent et marginal, et c’est peut-être le film où il se ressemble le plus.
On adore cette anecdote : En 2014, il disait que chaque acteur était placé dans un couloir. Lui, il avait hérité de celui du méchant complexe. Et qu’il se verrait bien, plutôt, dans l’univers de Albert Dupontel. Ce sera fait en 2017, avec Au revoir là-haut.
Du marchand Lopakhine au chef d’orchestre Sergiu Celibidache, il était lourd, lent, calme, dur aussi, mauvais parfois. Derrière son regard triste, on croyait percevoir une attention particulière au monde, une sorte de tendresse, un secret. C’est cette incertitude que nous aimions.