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Gosses de Tokyo (1932) II
de Yasujiro Ozu
publié le mercredi 8 janvier 2025

par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection officielle du Festival de Locarno 1979

Sorties les mercredis 6 avril 2005 et 8 janvier 2025


 


En 1932, Yasujirō Ozu n’a pas encore trente ans mais déjà vingt-six films à son actif, tous au studio Shôchiku. De films muets, comme l’est Gosses de Tokyo, le studio n’étant pas alors équipé pour le sonore. Ce qui n’était pas pour déplaire au cinéaste, grand amateur de burlesque et de chassés croisés à la Charlie Chaplin, Buster Keaton et Ernst Lubitsch. Il devait déclarer : "Tout le monde se précipitant sur le parlant, je voulais livrer une bataille d’arrière-garde pour le cinéma muet. Je savais que le parlant allait finir par gagner mais je voulais résister jusqu’au bout pour prouver que l’on pouvait réaliser de beaux films muets".


 


 

Le propos est comparable à celui des séries de Hal Roach, Our Gang, qui commencent dès 1921 (jusqu’en 1944), et se poursuivront sous le titre Little Rascals, à partir de 1955. On fait connaissance avec un univers de gamins qui se chamaillent pour établir une hiérarchie ou lutter contre une bande rivale. Ici deux frères de huit-dix ans, Ryochi l’aîné et Keiji son cadet, dont les parents emménagent dans une banlieue nouvelle.


 


 

Le père, salarié d’une entreprise, veut se rapprocher de son patron, et, pour ce faire, lui rendre quelques menus services, comme on le comprend dès la scène d’ouverture. Le décor n’a rien de particulièrement attrayant : le linge sèche à l’air libre ; peu d’arbres, mais des fils électriques dessinent une géométrie abstraite ; il passe dans un sens et dans l’autre, un tramway qui rythme le temps.


 


 

Peinant à se faire accepter en classe, Ryochi et Keiji optent pour l’école buissonnière. Puis, usant d’énergie autant que d’habileté, ils parviennent à s’imposer. L’aîné brave le dur du quartier dont les deux frères, solidaires, adoptent les codes, jouant eux aussi à "Couche toi, t’es mort", ou faisant assaut de rodomontades : "Mon père arrive à s’arracher une dent ! Mon père a une super voiture !"... Le film est une comédie virevoltante. La caméra se situe du côté des enfants, "au ras du tatami". La visière enfoncée sur les yeux, les protagonistes sont irrésistibles, de circonspection, de cran.


 


 


 

Tout s’obscurcit avec une séance de home movie, lorsque la famille est reçue chez le patron, qui est aussi le père d’un camarade de classe, Tarō. Ce film dans le film - quelques images volées à la vie des employés -, joue le rôle de révélateur d’une réalité cruelle. Comme dans une mise en scène de brimade auto-infligée, les enfants voient leur père faire le clown et se ridiculiser volontairement devant son patron et ses collègues.


 


 


 

Suit une séquence implacable : "Tu me dis qu’il faut devenir quelqu’un, mais tu n’es personne !" À quoi le père rétorque : "Le boss paie mon salaire". Les répliques s’échangent comme des coups. Elles s’inscrivent, noir sur blanc, sur les cartons. S’ils doivent aller à l’école pour obéir par la suite à un Tarō, autant faire grève. À commencer par la grève de la faim...


 


 


 

À court d’arguments, le père administre "une bonne fessée" à son fils aîné. Les pleurs passés, il lui expliquera, avec une grande douceur, les raisons de son attitude au travail. Il ne souffle mot de la peur du chômage et des crises économiques qui secouent le capitalisme nippon à l’époque. Il insiste au contraire sur les avantages que la famille tire d’une attitude conciliante vis-à-vis des puissants.


 


 


 

Malgré la pseudo-réconciliation finale, Gosses de Tokyo résonne d’une tonalité grave. Les enfants ont fait l’expérience de la honte. Ils entrevoient les perspectives limitées s’offrant à eux. La rentrée des classes signifie-t-elle la fin de l’innocence ?

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe

* Cf. aussi "Gosses de Tokyo I", alias Je suis né mais..., Jeune Cinéma n°131, décembre 1980.


Gosses de Tokyo (Otona no miru ehon : Umarete wa mita keredo) aka I was born but... Réal : Yasujiro Ozu ; sc : Akira Fushimi ; ph et mont : Hideo Shigehara. Int : Tatsuo Saito, Mitsuko Yoshikawa, Tomio Aoki (Japon, 1932, 91 mn).



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