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Quatrième Mur (le) (2024)
de David Oelhoffen
publié le mercredi 15 janvier 2025

par Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma n°433, décembre 2024

Sélection officielle du Festival du film francophone d’Angoulême 2024

Sortie le mercredi 15 janvier 2025


 


1983 : Georges est chargé par Samuel, malade, d’aller au Liban pour mettre en scène l’Antigone de Jean Anouilh. Le pays est en guerre civile, et la pièce doit se monter avec des acteurs issus des communautés s’entre-tuant. Servi par une cohorte d’interprètes talentueux, le public est immergé avec Georges, qui passe d’un groupe ethnique à l’autre au gré de grands dangers pour monter la pièce (rendant ainsi le personnage aussi sympathique qu’insensé), dans un monde perclus de traditions, d’espoirs et de rancœurs. Un monde travaillé par une violence endémique et qui s’amplifie à mesure que le récit se déroule, dans le pays comme dans les cœurs.


 


 

Et comme l’origine de la guerre n’est pas développée, la barbarie est vierge de justification ce qui en exhibe l’injustice. Ainsi, les péripéties gagnent en intensités à mesure que l’intrigue avance, que les caractères des personnages se font contaminer par la guerre malgré leurs tentatives de résister, et chaque situation est utile à penser des questions telles que l’assignation identitaire, les a priori, la mécanique de la guerre et le rôle de la culture dans tout cela. Un rôle éminent, dans la mesure où cette dernière est le fil d’Ariane symbolique suivi par Georges qui lui permet de naviguer d’une communauté à l’autre.


 


 

Le symbolisme est d’ailleurs littéralement employé par David Oelhoffen dans son film, via le recours à l’autoréflexivité, avec un jeu d’échos entre la pièce de Jean Anouilh et son histoire, mais surtout avec le travail des multiples regards caméra des personnages qui ponctuent le film. Des regards obtenus en intercalant la caméra entre les individus ou en usant des images filmées en dV par Georges, qui brisent le fameux quatrième mur de la fiction et interpellent le spectateur sans pour autant le sortir de la diégèse.


 


 

Cette nature réflexive est aussi charriée par la structure narrative du récit : le flash-back. En commençant par la fin de son histoire, l’auteur atténue le suspense et génère une ironie dramatique utile pour ancrer le film dans une dimension tragique et achève de pousser le spectateur à la réflexion. Cette nature est accentuée par le fait qu’aucun personnage n’est maître de la situation dans laquelle il se trouve et ne peut que la subir.


 


 

Ainsi, bien qu’elle soit de facture classique et immersive, l’esthétique du film a pour atout d’être aussi introspective. Toujours proche de ses personnages, l’image, son cadrage, n’en laisse pas moins la place à de multiples détails du décor qui rendent l’histoire crédible, tout comme elle permet de montrer la beauté de paysages poétiques rendant grâce à un Liban meurtrie et en voie de délitement.


 

L’œuvre ne peut que tragiquement faire écho aux événements actuels du proche orient, Le Quatrième Mur ne se contente donc pas d’être une adaptation réussie. Par ses partis pris esthétiques, il parvient à émouvoir autant qu’il amène la réflexion. Il fait penser aussi bien au Faussaire qu’à Requiem pour un massacre (1). Il est un indispensable de 2025.

Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma n°433, décembre 2024

1. Le Faussaire de Volker Schlöndorff (1981) ; Requiem pour un massacre (Idi i smotri) aka Va et regarde de Elem Klimov (1985).


Le Quatrième Mur. Réal : David Oelhoffen ; sc : D.O. & Catherine Stragand, d’après le roman de Sorj Chalandon ; ph : Guillaume Deffontaines ; mont : Sandie Bompar ; mu : Jérôme Reuter & Tom Gatti ; déc : Hussein Baydoun & Christina Schaffer ;
cost : Magdalena Labuz & Ola Achkar. Int : Laurent Lafitte, Manal Issa, Simon Abkarian, Bernard Bloch (France-Luxembourg-Belgique, 2024, 126 mn).



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