par Lucien Logette
Jeune Cinéma n°430, été 2024
Sélection Séances spéciales du Festival de Cannes 2024
Sortie le mercredi 15 janvier 2025
Il est curieux que deux figures aussi importantes du cinéma français que Leos Carax et Arnaud Desplechin aient signé cette année un film inclassable, en forme de bilan provisoire et de confidences sur leur trajet et ce que le cinéma représente pour eux depuis qu’ils ont tourné leurs premières images, le premier en 1984, le second en 1990. Comme si chacun avait éprouvé le besoin d’une pause, d’un retour sur soi (ils sont tous deux nés en 1960), que le cinéma de fiction ne leur permettait pas (ou plus). Nous avons dit déjà en quelques lignes l’intérêt pris à C’est pas moi de Leos Carax.
En revanche, le film de Arnaud Desplechin nous a laissé une impression moins favorable. Il est évident que depuis Roubaix, une lumière, (1), il y a cinq ans, l’inspiration de l’auteur, de Tromperie (2021) à Frère et Sœur, (2022) s’est située surtout entre redites et piétinements. D’où sans doute cette nécessité de faire le point, un point d’arrivée ou de départ, on ne sait pas encore.
On comprend sa mélancolie devant une période disparue, celle de la salle et du collectif, de la découverte de la merveille cinéma, Ingmar Bergman et autres, et des premiers émois dus aux présentateurs de ciné-clubs lycéens. Mais rien de neuf là-dedans, et une fois qu’on a émis cette nostalgie partagée par beaucoup, what else ?
Pour quel profit convoquer Dominique Païni (hors sujet, mais, pour une fois, il ne cite pas Walter Benjamin), Pascal Kané sous le déguisement de Micha Lescot, les ombres ontologiques de Stanley Cavell et de André Bazin, celle de Claude Lanzmann, de François Truffaut évidemment, de Carl Theodor Dreyer et de Alfred Hitchcock, on en oublie ? Qu’est-ce qui émerge de ce vide-grenier ? Quelle perspective autre que rétro ? Une éthique ? Un mode d’emploi ? Une perception différente du cinéma ?
Shoah (2) a changé sa vie, mais il n’est certes pas le seul, et cela nécessite-t-il de revenir si longuement sur un sujet autant exploré ? Spectateurs ! nous a semblé n’avoir été réalisé qu’à destination des aficionados, une sorte de bonus à une "soirée Desplechin" sur Arte (productrice), en complément de vrais films, La Sentinelle (1992) ou Un conte de Noël (2008). À suivre…
Lucien Logette
Jeune Cinéma n°430, été 2024
1. "Roubaix, une lumière", Jeune Cinéma n°395, été 2019.
2. Shoah de Claude Lanzmann (1985) dure 10 heures. Le film a été inscrit, en 2023, au registre de la Mémoire du monde de l’UNESCO.
3. "La Sentinelle", Jeune Cinéma n°216, juillet 1992 ; "Un conte de Noël", Jeune Cinéma n°317-318, juillet 2008.
Spectateurs ! Réal, sc : Arnaud Desplechin ; ph : Noé Bach ; mont : Laurence Briaud & Naïri Sarkis ; mu : Grégoire Hetzel. Int : Françoise Lebrun, Mathieu Amalric, Dominique Païni, Micha Lescot (France, 2024, 88 mn).