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Boxing Gym (2010) II
de Frederick Wiseman
publié le dimanche 6 septembre 2015

par Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n°336-337, avril 2011

Sélection officielle de la Quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes 2010

Sortie le mercredi 9 mars 2011


 


Frederick Wiseman continue à promener sa caméra comme un miroir sur notre monde, en passant de la danse à la boxe. Il ne s’agit nullement de grand écart comme il l’explique lui-même : la violence est inscrite dans toute son œuvre et la boxe n’en est nullement dépourvue. Elle est pleine aussi de contradictions : "Elle peut être sanglante, blessante et cruelle, tout en requérant du dévouement, de la discipline, de la concentration, une éthique du travail acharnée, le sens du sacrifice, des exigences contraignantes et féroces envers le corps et l’esprit". La boxe n’est donc pas si éloignée de la pratique professionnelle de la danse, telle qu’il l’a mise en scène dans Ballet (1995) et dans La Danse (2009) (1). D’ailleurs, on trouve ici des images montrant des boxeurs dans des positions de danseurs, comme si le réalisateur voulait percer le secret de ce sport ambigu. Comme d’habitude, il aime pénétrer des lieux fermés, ouvrir des portes et donner à voir quelque chose d’intime.


 


 

Nous sommes à Austin, Texas, dans le club de boxe Lord’s Gym, que Richard Lord, ancien boxeur professionnel, a ouvert il y a seize ans. Ici se rencontrent divers types, le jeune sportif, l’homme d’affaires, la mère de famille, en passant par des bébés et des animaux, et le mythe du melting-pot américain s’y dessine pour montrer comment cette société fonctionne. D’abord sur le respect, car on sent comme une douceur, une écoute, entre toutes ces personnes et le professeur, comme si ce sport particulièrement violent ne pouvait pas ne pas engendrer aussi sa part de douceur. L’ambiguïté est là, dans ce mélange de surenchère sportive, dans l’agressivité nécessaire pour donner les coups qui permettront de vaincre, et l’échange dialogué entre tous ces gens différents. À travers des plans fixes jamais ennuyeux, Frederick Wiseman continue à donner vie à des moments, parfois même par des silences, des regards, des discussions dont nous ne saisissons que des bribes, comme ces hommes qui parlent d’un massacre qui vient de survenir à la manière de celui de Columbine, ou qui se donnent des conseils de non-violence.


 


 

La vie continue aussi hors les murs et on observe, un peu amusé, cette activité calme de sportifs attentifs, lorsque, y compris dans la cour, ils s’adonnent quasi religieusement à leur sport favori et à l’entraînement strict et quasiment dansé qu’il impose. Le film montre bien aussi la présence tutélaire du professeur ou de l’entraîneur en qui tous viennent chercher autre chose qu’un cours de boxe en face à face. Le club est présenté comme une sorte de refuge dans un monde où le citoyen est devenu anonyme.


 

Ici, chacun a sa place - moyennant le versement mensuel de 50$ en liquide -, chacun peut se confier, ou rêver de faire partie des nouveaux Muhammad Ali ou Mike Tyson. Réalisant l’exploit de ne pas ennuyer le spectateur même non concerné, Boxing Gym réussit aussi à nous faire croire un temps que la société idéale pourrait se construire ici, entre classes sociales et races différentes, justement dans le paradoxe de cette violence apaisée justement par ces étranges boules de cuir rouge.

Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n°336-337, avril 2011

1. "La Danse. Le Ballet de l’Opéra de Paris" Jeune Cinéma n°336-337, avril 2011.


Boxing Gym. Réal, mont : Frederick Wiseman ; ph : John Davey ; son : F.W. & Emmanuel Croset. Avec Richard Lord (USA, 2010, 91 mn). Documentaire.



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