par Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n°434-435, février 2025
Sélection officielle de la Mostra de Venise 2024
Sortie le mercredi 12 février 2025
Pour son quinzième film, parmi lesquels deux séries télévisées et trois documentaires, Francesca Comencini revient sur sa vie et sur ce que cela représente d’être la fille d’un des plus grands cinéastes italiens. Elle a profité de la période de confinement du covid pour écrire ce scénario courageux et lucide qui revient sur ses années de plomb. Son film commence comme un conte de fées : elle vit avec son père présent et protecteur, au cœur de Rome, et elle l’accompagne, émerveillée, sur le tournage de Pinocchio (1). On se dit, en la voyant enfant, si respectée, si chérie, que la suite sera tragique.
En effet, la deuxième partie du film raconte la jeunesse de cette petite fille qui a beaucoup grandi, qui s’oppose à la figure du père et finit par se droguer lamentablement. La troisième partie du film, pleine de grâce et d’amertume, raconte enfin la cure de désintoxication que le père inflige à sa fille à Paris, la surveillant comme le lait sur le feu, cure qui portera ses fruits.
La fille, devenue mère à son tour, se tournera elle aussi vers le cinéma, sans doute pas à la manière du père, mais en mettant en scène sa propre vie, ce qui ulcère celui-ci, dont les tremblements qu’elle ne semble pourtant pas voir, annoncent sans doute la maladie de Parkinson qui l’emportera.
Le titre est emprunté à Luigi Comencini lui-même qui, au moment du tournage de Pinocchio, s’emporte contre son assistant qui reproche de façon peu amène aux habitants du village de passer leur nez à la fenêtre pendant les prises. Luigi Comencini déclare que c’est eux, les gens du cinéma, qui s’imposent dans le village et gênent ses habitants et qu’il tient à s’en excuser. C’est ce qu’il déclare d’ailleurs : "Prima la vita !" pour signifier aux gens du cinéma que la vie réelle est plus importante que la fiction. Francesca Comencini le rapporte ainsi : "Cette phrase de mon père, ’Prima la vita, poi il cinema !’ est presque paradoxale, car la vie, c’est le cinéma ! Ce mouvement de balancier entre l’une et l’autre traverse mon film".
Pour réaliser cette fresque sur sa propre vie, elle a su s’entourer d’un directeur de la photographie, Luca Bigazzi, qui a travaillé à l’ancienne pour respecter le style de Luigi Comencini, mais aussi de toute une équipe qui a su reconstituer, avec ses décorateurs, ses costumiers, ses preneurs de son et ses monteurs, un monde, celui d’un cinéma qui a tissé les heures de gloire de l’Italie et de Cinecittà. Prima la vita porte bien son titre, surtout quand on pense que le cinéma est avant tout une machine à témoigner de ce qui vit et du temps qui passe, avec la volonté désespérée de l’arrêter ou de le faire revivre, ce que l’on ressentira en revoyant le Pinocchio de Luigi Comencini, le vrai.
Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n°434-435, février 2025
1. Le roman Les Aventures de Pinocchio (Le avventure di Pinocchio. Storia di un burattino) de Carlo Collodi (1881) a d’abord fait l’objet d’une adaptation, par Luigi Comencini, pour un feuilleton télévisé en six épisodes de 55 minutes. Tourné en couleur, il a été diffusé en noir et blanc sur la RAI, du 8 avril au 6 mai 1972. Par la suite, le feuilleton a été remonté, en 1972, pour une exploitation en salle et réduit à une durée d’environ 135 minutes. Le film est sorti en France le 22 août 1975 : "Les Aventures de Pinocchio," Jeune Cinéma n°89, septembre-octobre 1975.
Prima la vita (Il tempo che si vuole). Réal, sc : Francesca Comencini ; ph : Luca Bigazzi ; mont : Francesca Calvelli & Stafano Mariotti ; mu : Fabio Massimo Capogrosso. Int : Fabrizio Gifuni, Romana Maggiora Vergano, Anna Mangiacavallo, Daniele Monterosi (Italie-France, 2024, 110 mn).