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Porcherie (1969) I
de Pier Paolo Pasolini
publié le mercredi 5 mars 2025

par Pier Paolo Pasolini
Jeune Cinéma n°41, octobre 1969

Sélection officielle de la Mostra de Venise 1969

Sorties le vendredi 10 octobre 1969 et le mercredi 5 mars 2024


 


Notes sur Porcile
 

Cristalliser l’erreur.
Faire un sonnet de Pétrarque sur un sujet de Lautréamont.
Un film atroce et doux.

Le contenu politique explicite a comme objet, comme situation historique, l’Allemagne. Mais le film ne parle pas de l’Allemagne, plutôt du rapport ambigu entre le vieux et le nouveau capitalisme. L’Allemagne a été choisie comme cas limite. Le contenu implicite du film est une méfiance désespérée envers toutes les sociétés historiques. Donc une anarchie apocalyptique.


 


 

Comme le sens du film était horrible et atroce, je ne pouvais faire autrement que de le traiter : a) avec un détachement presque contemplatif ; b) avec humour.
Je suis sûr qu’on va me demander : "Mais ce film est autobiographique ?" Et je répondrai : "Eh oui", à qui m’aura posé la question. Le film est autobiographique au moins dans la mesure où ma vie m’a amené à ressentir l’horreur et puis à l’exprimer avec détachement, avec humour. Non que je tienne tellement à ce détachement et encore moins à cet humour. Mais toujours est-il que j’en suis arrivé là.

En outre, le film est autobiographique pour les deux raisons suivantes :
1. Je m’identifie en partie au personnage de Pierre Clémenti (anarchie apocalyptique, et disons, contestation globale sur le plan de l’existence).


 

2. Je m’identifie en partie avec le personnage de Jean-Pierre Léaud (l’ambiguïté, la personnalité difficile à saisir, et en somme, tout ce que dit le personnage sur lui-même dans le long monologue qu’il adresse à son "amie" qui s’en va).


 

Le message du film, pour simplifier, est le suivant : la société, toute société, dévore et les fils obéissants et ceux qui n’obéissent ni ne désobéissent. Les fils doivent obéir. Suffit.


 

Les porcs, au sens métaphorique, et je dois dire, avec une certaine injustice : parce que les personnages les plus sympathiques du film sont les vrais porcs. Ils sont innocents. Cela peut sembler difficile à croire, mais les porcs métaphoriques et même le porc métaphorique par excellence, Monsieur Herr Dhitze (Ugo Tognazzi) est presque... sympathique. Le fait est que d’une certaine manière il est, quoiqu’atrocement, innocent. Son éducation bourgeoise de self-made-man lui est restée extérieure. Il est en somme, une force de la Nature.


 

Quel sens donner au fait que le seul personnage positif "bourgeois" de l’histoire (si on met à part les vrais porcs, les paysans et Ninetto) est Ida (Anne Wiazemski) ?


 

On aurait tort de considérer le personnage de Pierre Clémenti comme une brute et un bandit : c’est un intellectuel, un disciple de Nietzsche, qui aspire à la sainteté. C’est un saint, je le répète, - soyons ironique -, de la contestation globale, un saint déplaisant.
Peindre avec la technique de Bellini une pagaille infernale.


 

Ces cinéastes sont présomptueux. Mais, quand un cinéaste tourne, il est toujours présomptueux et donc un peu ridicule. Si un spectateur reste perplexe sur le sens des deux histoires alternées du film, il n’a qu’à penser avec un peu d’attention aux deux inscriptions qu’on donne à lire avant le générique. Quant au rapport entre capitalisme et néocapitalisme, il suffit de penser au petit récitatif que chante pour ainsi dire Monsieur Klotz (Alberto Lionello) lorsqu’il entre dans le grand salon aux fresques, avec son concurrent, son futur collaborateur.


 

Je suis sûr que quelqu’un va me dire : "Les dialogues du film sont trop intellectuels". Tu te trompes, ami, lui répondrai-je, ces dialogues ne sont pas intellectuels, ils sont poétiques. Si tu veux être plus royaliste que le roi, c’est-à-dire plus spectateur que le spectateur, tant pis pour toi.

Pier Paolo Pasolini
Jeune Cinéma n°41, octobre 1969

* Cf. aussi "Porcile II", Jeune Cinéma n°153, octobre 1983.


Porcherie (Porcile). Réal, sc : Pier Paolo Pasolini ; ph : Tonino Delli Colli, Armando Nannuzzi & Giuseppe Ruzzolini ; mont : Nino Baragli ; mu : Benedetto Ghiglia ; cost : Danilo Donati. Int : Épisode de Julian : Jean-Pierre Léaud, Alberto Lionello, Ugo Tognazzi, Anne Wiazemsky, Margarita Lozano, Marco Ferreri, Ninetto Davoli, Laura Betti ; Épisode du cannibale : Pierre Clémenti, Franco Citti, Ninetto Davoli, Luigi Barbini, Antonino Faà di Bruno (Italie-France, 1969, 99 mn).



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