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Porcherie (1969) II
de Pier Paolo Pasolini
publié le mercredi 5 mars 2025

par Arnau Olivar
Jeune Cinéma n°153, octobre 1983

Sélection oficielle de la Mostra de Venise 1969

Sortie le vendredi 10 octobre 1969 et le mercredi 5 mars 2024


 


La structure de Porcile (1969), un des films les plus audacieux d’une œuvre qui est toute entière audace, est celle d’un diptyque dont l’une des parties voit se produire un conflit du temps avec l’Histoire. Le choc de l’homme primitif avec l’homme moderne a une signification. La manière dont le film rend le temps historique est plus poétique que narrative, car y manque la parole et les faits sont situés dans un espace indéterminé, figuré par le désert, la montagne et le volcan.


 


 

Pour la première fois, Pier Paolo Pasolini recourt au rite - de manière claire et précise - un rite issu du cannibalisme. Une fois mangée la chair des voyageurs assaillis et tués, les têtes des cadavres sont lancées au cratère du volcan comme pour une cérémonie liturgique. Mais dans Porcile, le cinéaste ne s’enferme pas dans le rite ; il ne l’utilise pas comme l’homme primitif pour recomposer les faits antiques en les connectant avec l’élément originel primordial.


 


 

C’est autre chose qui l’intéresse, son objectif est différent. Porcile a été réalisé en 1969, c’est-à-dire au moment où, en Tchécoslovaquie, fut étouffée la possibilité d’un printemps, et après l’échec des jeunes de Mai à prendre le pouvoir. "Avec la critique du marxisme, je me suis retrouvé très seul et mon film a mûri pendant cette période", a-t-il dit à l’époque (1).


 

Deux hommes du monde primitif sont condamnés par les hommes du monde historique à mourir déchirés par des bêtes de proie, jetés à terre et attachés à un poteau.
L’un d’eux, Franco Citti, perd espoir, pleure et demande pardon. Il représente le vrai barbare qui se contente de vivre et veut continuer à vivre sans se poser aucun problème de dignité ou d’orgueil. Pour lui, la barbarie précède la civilisation.
L’autre, Pierre Clémenti, est celui qui profère ces mots terribles : "J’ai tué mon père, j’ai mangé de la chair humaine et je tremble de joie". Ce n’est pas un barbare mais le symbole de la rébellion du prolétariat.


 


 

Pour Pier Paolo Pasolini, le cannibalisme de Franco Citti est un besoin, une manière terrible de résoudre un problème de faim. Celui de Pierre Clémenti, est la rébellion poussée jusqu’au bout, un extrémisme poussé à la hauteur d’un scandale intolérable pour la société historique, parce que c’est le refus le plus monstrueux de la communication entre hommes.


 

On connaît la pensée de Pier Paolo Pasolini qui s’exprime dans le film : la société historique ne pardonne ni à ses fils désobéissants, ni à ceux qui ignorent l’obéissance. Elle n’admet que les fils obéissants. Au cœur de son fondement idéologique, Porcile est le refus de la société historique.

Arnau Olivar
Jeune Cinéma n°153, octobre 1983
Barcelone, 1982

* Extrait d’un article général, "Mythe et Histoire chez Pasolini", Jeune Cinéma n°153, octobre 1983.

** Cf. aussi "Porcherie I", Jeune Cinéma n°41, octobre 1969.

1. À Grado, Pier Paolo Pasolini fit une conférence de presse dont voici un court extrait :

Qu’est-ce qui vous a poussé à insister de manière aussi forte sur les séquences violentes ?

Cet extrémisme dans la destruction a été inspiré par la crise de la société italienne des années soixante. À tort ou à raison, pendant l’après-guerre et jusqu’en 1960, nous avons gardé l’espoir d’un renouvellement ou du moins nous en avions l’illusion. Puis avec la crise du marxisme, je me suis trouvé très seul et mon film a mûri pendant cette période. Mais maintenant, le mouvement étudiant nous a donné de nouvelles raisons d’espérer.

Pensez-vous que la fable, l’apologue allégorique constitue une voie intéressante pour vous et pour le cinéma d’aujourd’hui ?

Dans mes premiers films, je m’exprimais avec un langage simple, parce que car je pensais - avec Antonio Gramsci - me référer à une conscience nationale populaire. Mais ce public qui était le peuple au sens gramscien, j’ai bien peur qu’il n’existe plus, parce que la société de consommation de masse détruit tout. C’est la raison pour laquelle j’ai commencé à faire des films fondés sur la fable, l’allégorie, une problématique qui risque d’en devenir - j’en suis très conscient - plus obscure, plus difficile à comprendre. Mais je ne peux faire autrement, c’est la seule manière qui me permette d’essayer de me soustraire aux circuits de la culture de masse, de la production de consommation.


 


Porcherie (Porcile). Réal, sc : Pier Paolo Pasolini ; ph : Tonino Delli Colli, Armando Nannuzzi & Giuseppe Ruzzolini ; mont : Nino Baragli ; mu : Benedetto Ghiglia ; cost : Danilo Donati. Int : Épisode de Julian : Jean-Pierre Léaud, Alberto Lionello, Ugo Tognazzi, Anne Wiazemsky, Margarita Lozano, Marco Ferreri, Ninetto Davoli, Laura Betti ; Épisode du cannibale : Pierre Clémenti, Franco Citti, Ninetto Davoli, Luigi Barbini, Antonino Faà di Bruno (Italie-France, 1969, 99 mn).



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