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Belladone (2024)
de Alanté Kavaïté
publié le mercredi 26 mars 2025

par Prosper Hillairet
Jeune Cinéma en ligne directe

Sortie le mercredi 26 mars 2025


 


"Le dehors guérit" (Robert Louis Stevenson)

Une île. Il était une fois une île. Il sera une fois une île. Dans un futur proche. Si proche qu’il nous est déjà contemporain. Une île où vivent à l’écart du monde, des vieux, pour échapper à la loi qui les oblige à être enfermés dans des "institutions". Ils sont sept dans leur communauté, et leur vie est régentée par une jeune femme, Gaëlle, qui les entoure d’une attention, d’une affection douce mais ferme, étouffante. Telle est la situation de départ, après Écoute le temps (2007) et Summer (2014) (1), du troisième long métrage de Alanté Kavaïté, Belladone.


 


 


 

L’île, encerclée, menacée par la montée des eaux, délimite un espace, replié sur lui-même, refuge pour les résidents où ils vivent reclus, isolés chacun dans sa maison, retirés de la société, retirés des autres anciens, retirés d’eux-mêmes. Pour échapper aux institutions closes, ils sont enfermés dans un milieu ouvert. Seule Gaëlle fait le lien entre eux, passant chaque matin déposer un œuf, traçant des lignes de surveillance, dans le village, faisant régner un ordre, son ordre. Pour les protéger, les sauver.


 


 


 

Mais cet ordre va être troublé, dérangé, par l’arrivée sur l’île de navigateurs venus de la mer, venus d’Ailleurs tels des Aliens, un frère et une sœur, et la fille de cette dernière. Ils vont apporter la vie dans cette communauté, au risque de la mort. Passer de l’île-tombeau à l’île-vie. Entraînant un conflit avec Gaëlle, qui voit ses vieux mourir les uns après les autres, accusant les Aliens d’être, par un trop de vie, cause de ces morts. L’enjeu étant le corps et la survie des vieux îliens.


 


 


 

La question est : Qu’est-ce que peut un corps vieillissant ? Doivent-ils renoncer ? Comme voudrait l’imposer Gaëlle, aux plaisirs de la vie, vivre comme des survivants, ou au contraire comme les y invite les Aliens, faire que le corps exulte, et se donner à l’amour, l’ivresse, la danse, le jeu, le plein air. Retrouver des sensations. Il s’agit d’une question morale, existentielle, pratique, médicale, politique, avec des échos dans l’actualité, et le film de Alanté Kavaïté n’élude aucune de ces dimensions, mais elle en fait une question de mise en scène. Sous l’impulsion des Aliens la communauté des vieux va retrouver le goût de la vie en des moments d’abandon. Ce qui va donner de grandes scènes, qui ponctuent le film : repas qui restaurent la joie du moment présent, vin qui réveille la sensualité, danse, beau moment de cinéma, qui déplie les corps qui étaient repliés, divertissements en extérieur qui s’ouvrent sous un grand ciel marin, où une caméra mobile enveloppe et relie les corps, leur donnant une musicalité. Caméra qui retisse les liens de cette petite société.


 


 


 

Société ou troupe. Troupe d’acteurs qui forment la communauté des anciens, où chacun apporte son univers, comme Miou-Miou émouvante, Alexandra Stewart majestueuse, Patrick Chesnais ironique, Jean-Claude Drouot massif et fragile, Féodor Atkine attachant. Troupe qui entre en interaction avec le trio qui veut, de manières opposées, régir leur vie ; trio d’acteurs d’une nouvelle génération, comprenant d’un côté, Gaëlle (Nadia Tereszkiewicz), qui a la beauté et la force de l’obstination, et les frère et sœur, David, (Dali Benssalah) et Aline (Daphné Patakia), séduisants et mystérieux.


 


 


 

Question d’acteur, question de scène dans sa théâtralité, avec même la traversée d’un rideau rouge lynchien ; question d’image, de cadrage (qui renvoie à la vie cadrée des vieux), d’où prolifération de formes rectangulaires (portes et fenêtres, miroirs), ou cerclées (jumelles, caillou percé, les astres, lune et soleil).
Question de lumière, la belle lumière océanique qui nimbe le film. Cercle et lumière qui forment une auréole autour de la tête de Gaëlle, la sainte de l’île, qui nous entraîne du côté du prodige, ce qui fait de Belladone, outre un conte moral et un conte politique, un conte fantastique. Il était une fois une île.
Ah ! Et qu’est-ce que mourir ? Passer de l’autre côté de la colline.

Prosper Hillairet
Jeune Cinéma en ligne directe

1. "Summer", Jeune Cinéma en ligne directe.


Belladone. Réal, dial : Alanté Kavaïté ; sc : A.K. & Sara Wikler ; ph : Manuel Alberto Claro ; mont : Joëlle Hache ; mu : Nicolas Becker & Quentin Sirjacq ; déc : Sebastian Vogler & Laurent Le Corre ; cost : Isabelle Pannetier. Int : Nadia Tereszkiewicz, Dali Benssalah, Daphné Patakia, Miou-Miou, Patrick Chesnais, Alexandra Stewart, Jean-Claude Drouot, Féodor Atkine, Claire Magnin, Joël Cudennec, Méryl Bergoz-Lony (France, 2024, 95 mn).



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