home > Personnalités > Boisset, Yves (1939-2025)
Boisset, Yves (1939-2025)
Brève
publié le mardi 1er avril 2025

Jeune Cinéma en ligne directe
Journal de Pierre Vernant 2025 (mardi 1er avril 2025)


 


Mardi 1er avril 2025

 

Yves Boisset (1939-2025) est mort hier, 31 mars 2025.


 

On avait oublié Yves Boisset, tout doucement, sans faire de bruit. On n’avait pas vu ses deux derniers films, Radio Corbeau (1989) et La Tribu (1991). Après, il en avait eu marre qu’on lui "mette en permanence des bâtons dans les roues", et il s’était tourné vers la télévision. Alors on y regardait ses films, sûr de trouver son compte dans des films solides et bien-pensants, et, comme toujours à la télé, on oubliait le réalisateur : L’Affaire Seznec (1993), L’Affaire Dreyfus (1995), Jean Moulin (2002), L’Affaire Salengro (2002)...
En 2011, on avait lu son autobiographie.


 

Désormais, il faisait partie de l’histoire du cinéma, bien rangé dans les étagères, où il avait une place reconnue, classique. Les temps avaient tellement changé, au 21e siècle, la gauche, la censure, l’engagement, "toutes ces sortes de choses", c’était daté, le cinéma politique même était marginalisé, continuait-on à en faire d’ailleurs, en France ?
Mais voilà, "les morts sont tous des braves types" comme disait Georges Brassens, et voilà que sa mort nous rappelle un temps heureux, où le cinéma avait son mot à dire, où il était censuré, donc considéré comme utile, efficace, dangereux par les autorités. Et pas politiquement "trop" ou "pas assez" comme dans le médias d’alors. Aujourd’hui, du Figaro à Libé, les nécrologies sont élogieuses de ce cinéaste très français, courageux et obstiné, qui fut journaliste aux Lettres françaises, et aurait pu aussi bien, à sa manière et en son temps, relever de la fameuse "qualité française" si dénigrée.


 

Il était un enfant de la guerre, et il a raconté lui-même, à la radio, ses traumautismes, les premières images de son enfance, réels (bombardements, femmes tondues), ou au cinéma (scène de fusillade dans le noir d’une salle). Aujourd’hui, on appellerait ça une belle résilience : À 17 ans, pendant ses études, il quitte le domicile familial. Une licence d’histoire, l’IDHEC, tout en faisant du journalisme à Paris-Jour où il est affecté aux faits divers, qu’on appelait "les chiens écrasés", qu’il comprend comme des faits sociaux et politiques. Il dira : "J’ai compris en faisant les commissariats à quel point les faits divers étaient le reflet d’une société" En cela, il est un précurseur de l’irruption de cette pensée et des romans policiers sur le devant de la scène dans les années 1980.


 

Puis il rencontre Yves Ciampi (1921-1982), dont il devient l’assistant-réalisateur à 20 ans, à partir de 1959 sur 3 films. Il ne réalisera aucun court métrage, mais aura fait son apprentissage sur le tas : 8 autres assistanats, avec des réalisateurs italiens (Riccardo Freda surtout, et aussi Sergio Leone et Vittorio De Sica) et français (Jean-Pierre Melville, Claude Sautet, René Clément). Après quoi, à 27 ans, il prend la main avec la réalisation de deux films dans le sillage italien, Coplan sauve sa peau (1968), dans le sillage du Coplan ouvre le feu à Mexico de Riccardo Freda (1967), et Cran d’arrêt (1969). En 1970, il se lance vraiment dans la bataille : Un condé, son troisième film, est un polar sur des policiers, sujet toujours tabou, qui connaît ces longs démêlés avec la censure, dont il ne sortira plus tout au long de sa carrière. Il lui faut céder sur quelques points, mais dans l’ensemble, il ne s’en sort pas mal, avec une interdiction aux moins de 13 ans. Et le film finira premier au box-office.


 

À partir de là, Yves Boisset ne cesse plus de réaliser des films "engagés", 44 films et téléfilms entre 1966 et 2009, résolument politiques, un cinéma de combat et de dénonciations de l’injustice. Quand il réalise L’Attentat (1972), R.A.S. (1973) sur la guerre d’Algérie, ou Le Juge Fayard dit Le Shérif (1977), il s’attend bien sûr à rencontrer toutes sortes de résistances, censures pression politiques, procès... Il les affronte.


 

Avec Dupont Lajoie (1975), d’une certaine façon, il ruse, en adoptant le ton de la comédie, et c’est peut-être son plus grand succès, récompensé à la Berlinale 1975.


 

On peut juger de sa combativité à partir d’un événement relaté par Le Point En 1988, le cinéaste poursuivit en justice la Fox, qu’il accusait d’avoir plagié son thriller Le Prix du danger (1983) avec le film Running Man de Paul Michael Glaser (1987). La bataille judiciaire dura dix ans, avec d’étonnantes péripéties, mais Yves Boisset eut finalement gain de cause en 1998.


 

Il a toujours considéré qu’il faisait "un cinéma populaire, politique, pédagogique" donc nécessaire. Qu’il soit aujourd’hui reconnu comme tel est extrêmement tonique. Il faudrait juste qu’on puisse revoir ses films, en DVD, à la télévision, ou en ressorties en versions restaurées, afin de juger en quoi ils sont toujours bons à la santé mentale.



Revue Jeune Cinéma - Mentions Légales et Contacts