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Allons z’enfants (1981)
de Yves Boisset
publié le vendredi 4 avril 2025

par Ginette Gervais-Delmas
Jeune Cinéma n°134, avril 1981

Sortie le mercredi 4 mars 1981


Voilà un thèse insolite, fort rare dans le cinéma français, et ce n’est pas un hasard, car il touche au sacré : la vie de caserne, vue ici à travers l’histoire d’un enfant de troupe. Sujet brûlant (1). L’enfant de troupe est un jeune garçon destiné dès son enfance à être "d’armée", comme on eût dit sous l’Ancien Régime - et pourquoi ne pas employer une expression d’époque pour qualifier une pratique aussi archaïque... Le héros du film a été engagé dans l’armée par ses parents quand il n’avait que huit ans et a commencé sa vie militaire dès qu’il eût atteint ses treize ans. Avait-il donc la vocation militaire ? Eh bien non, justement. Il était fier, intelligent, bon, sensible. Qu’eût-il été faire dans cette galère ?

Le film est l’adaptation d’une œuvre littéraire qui fit quelque bruit, à sa parution, en 1952 (2). L’adaptation de Yves Boisset est fidèle, parfois même à la lettre. Mais elle sait faire les transpositions nécessaires à cette fidélité-même, et aussi se permettre quelques adjonctions. La hiérarchie militaire est peinte sous des couleurs très noires : une galerie de monstres où l’imbécilité, la servilité, le disputent à la brutalité. Le film demeure en deçà du roman, peut-être parce que la puissance de l’image ferait basculer dans l’insoutenable. Il arrive parfois aussi que la réalité dépasse la fiction, il faut demeurer en deçà pour rester crédible.

Plus difficile était de rendre le côté assez ironique du récit qui permettait de contenir la sensibilité et de conserver une relative sécheresse de ton. Yves Boisset s’y est attelé avec succès, servi par une remarquable direction d’acteurs. L’interprétation est presque toujours excellente. Ça ne tourne jamais au jeu de massacre, les personnages gardent chacun leur individualité et une crédibilité suffisante. Jean-François Stévenin a particulièrement bien campé un rôle de sergent gueulard, cogneur, sadique au regard inquiétant.

Le jeune protagoniste, interprété par Lucas Belvaux, est excellent. Là aussi, la difficulté était grande, car, face à la galerie de monstres, ce personnage d’adolescent est totalement positif. Or, il n’a rien de stéréotypé ni de fade. Son jeu, qui pourtant couvre une gamme très étendue, est d’une remarquable sobriété. Il sait être expressif, toucher le spectateur avec une grande économie de moyens, sans jamais tomber dans le pathos. Il rend très bien ce qu’il y a d’attachant dans le personnage, sa simplicité, sa gentillesse, sa bonté, sa malice. Bien que très vulnérable, il sait donner une grande impression de fermeté ; un personnage sans concessions, totalement allergique à la vie de caserne. Sa fierté contraste avec l’arrivisme mesquin des gradés et aussi de beaucoup de ses camarades. Son absence d’arrogance n’empêche pas certaines répliques vengeresses qui combleront d’aise ceux qui ont mal supporté le temps où ils furent encasernés. En un temps où peu savent dire "non", il se démarque sans cesse de ce milieu imposé, s’affirmant résolument étranger, refusant les faux-semblants de camaraderie.

C’est un film démystificateur aussi. Le mythe du brave militaire peut-être pas très fin, mais franc du collier, cœur d’or, vole en pièces. C’est tout le système qui est mauvais : l’exemple du père, interprété avec finesse par Jean Carmet, montre comment un homme ordinaire, après lavage de cerveau et dressage approprié, devient un tyran brutal et méchant à l’égard de son propre enfant. Plus que les hommes, c’est donc le système - celui d’un pouvoir arbitraire - qui est visé, parce qu’il pervertit ceux qui l’exercent comme ceux qui le subissent. Allons z’enfants est un film courageux, qui adapte correctement un des meilleurs romans de l’après-guerre, et auquel on souhaite une bonne carrière.

Ginette Gervais-Delmas
Jeune Cinéma n°134, avril 1981

* Cf. aussi "Entretien avec Yves Boisset", Jeune Cinéma n°135, juin 1981.

1. Alain Jessua qui voulut faire, en 1955, un documentaire sur les enfants de troupe n’obtint pas l’autorisation de tournage.

2. Yves Gibeau, Allons z’enfants, Paris, Calmann-Lévy, 1952. Réédition, préface de Michel Dalloni, Paris, Le Dilettante, 2016.


Allons z’enfants. Réal : Yves Boisset ; sc. Y.B. et Jacques Kirsner d’après le roman de Yves Gibeau ; mu : Philippe Sarde ; ph : Pierre-William Glenn. Int : Lucas Belvaux, Jean Carmet, Jean-Pierre Aumont, Jean-François Stévenin, Jacques Denis, Daniel Mesguich, Jean-Pol Dubois, Jean-Claude Dreyfus, Jean-Marc Thibault, Jean-Pierre Kalfon, Serge Moati (France, 1981, 118 mn).



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