par Olivier Varlet
Jeune Cinéma n°267, mars-avril 2001
Sélection officielle Hors compétition du Festival de Cannes 2000
Sorties les mercredis 21 mars 2001 et 9 avril 2025
Darren Aronofsky signe, après son remarquable Pi (1), un second film magnifique et troublant. Chaque image réveille en nous des aspirations oubliées. Leur perfection plastique nous conduit vers le rêve d’une réalité plus douce, à laquelle l’implacable occurrence du quotidien ne nous a pas fait renoncer.
Sara est veuve, elle habite seule à Coney Island et vit dans l’espoir obsessionnel d’être invitée sur le plateau de son émission préférée. Pour fuir le sentiment d’échec qui la ronge, elle rêve d’un peu de reconnaissance : si elle passait à la télévision, elle deviendrait la vedette de son quartier. Aussi, quand elle apprend qu’elle a été sélectionnée pour son émission fétiche, elle n’a plus qu’un rêve : rentrer dans la belle robe qu’elle portait autrefois. Pour y parvenir, elle est prête à tout, même à devenir accro aux coupe-faim. Alors que la caméra glisse lentement dans son appartement, elle s’agite dans la vanité d’actes mécaniques et sans plaisir ; ranger, balayer, laver. Quand l’image se fixe sur son visage, on y décèle la palpitation douloureuse d’une vie qui avait espéré réinventer le monde mais qui désormais n’y croit plus.
À l’histoire de Sara se mêle celle de son fils Harry, de sa petite amie Marion et de son copain Tyrone. Leur parcours est plus classique, celui de jeunes désœuvrés que les désillusions et l’ennui ont jeté dans la drogue. Si leur déchéance ne surprend pas, dans une société qui s’accommode facilement de ces laissés pour compte, celle de Sara inquiète car rien en revanche ne semble prédestiner la ménagère à se droguer ; si ce n’est, suggère Darren Aronofsky, le même désenchantement. La drogue permet à tous de croire un instant encore à des éclats d’utopie tenaces.
Requiem for a dream n’est pas moraliste, ne juge pas. La caméra se contente de cadrer en gros plan les éléments d’une réalité qui demeure après qu’ait décollé la conscience, pour comprendre quatre personnages livrées à la dépendance. Darren Aronofsky donne à son film la forme d’un rite d’approche, rythmé de plans récurrents, dans la composition desquels le chiffre trois intervient constamment. Le film prend, alors, la forme d’un triptyque, celui des trois saisons d’une accoutumance.
Été. L’image est nette et contrastée, la caméra se place à hauteur d’homme ; tout inscrit les personnages dans la réalité qui les entoure. Certes, ils cherchent à échapper à leur vie, mais ils s’en accommodent, et de multiples fondus au blanc traduisent la douceur de la rêverie. Sur la première image du film un orchestre s’accorde ; bientôt il jouera un requiem qui le parcourra, présageant déjà une issue funeste.
Automne. L’image se noie dans des bleus hypnotiques et comateux. Pour combler le vide de son existence, Sara a fait de son désir de maigrir un tel enjeu qu’elle en est maintenant dépendante tout autant que de ses coupe-faim. Quant à Harry, Marion et Tyrone, ils se sont si souvent shootés en croyant simplement tromper leur ennui qu’un seul jour de manque leur est désormais insoutenable. Peu à peu chacun s’enferme dans son délire et se coupe des autres. le cinéaste multiplie les plongées qui les écrasent, et les contre-plongées qui les isolent dans des cieux illusoires et vides.
Hiver. La pancarte tombe sur l’écran comme un couperet. Constamment la caméra bascule, vacille, ne retient plus les personnages que leurs forces abandonnent, et que leurs rêves trahissent. La musique s’accélère et attaque les dernières notes du requiem pour quatre personnages - filmés par une caméra maintenant à la verticale - qui ont trop rêvé. Et les scènes se referment successivement par des fondus au noir qui marquent tous une illusion qui expire et la vie qui se fige.
Olivier Varlet
Jeune Cinéma n°267, mars-avril 2001
1. "Pi", Jeune Cinéma n°254, mars 1999
Requiem for a Dream. Réal : Darren Aronofsky ; sc : D.A. & Hubert Selby Jr, d’après Last exit to Brooklyn de Hubert Selby Jr ; ph : Matthew Libatique ; mu : Clint Mansell ; mont : Jay Rabinowitz ; déc : James Chinlund. Int : Ellen Burstyn, Jared Leto, Jennifer Connelly, Marlon Wayans, Christopher McDonald, Louise Lasser, Marcia Jean Kurtz, Mark Margolis, Sean Gullette, Keith David (USA, 2000, 110 min).