À propos des acteurs qui jouent leur propre rôle.
Robert Altman : Tous ont assez le sens de l’humour pour permettre qu’on se moque d’eux. Ils ont été payés au tarif syndical mais le total des salaires a été versé à l’œuvre de Film Pictures Home. Quand je les ai contactés, je leur ai résumé le sujet du film : "un personnage des studios qui commet un meurtre et reste impuni". Ils ont immédiatement dit oui. Si vous vous demandez pourquoi, c’était comme signer une pétition. Nous faisions avec The Player une déclaration politique sur le monde occidental et notre société, ces gens qui prennent et ne donnent rien. Je crois qu’ils ont simplement levé la main et contresigné la déclaration.
Toutes les rencontres avec les acteurs n’étaient pas incluses dans le scénario. Ceux dont le texte faisait mention, nous devions nous assurer de leur participation. Les seuls qui ont été contactés avant le film furent Bruce Willis et Julia Roberts, qui avaient un rapport avec l’intrigue du film. Ils étaient mentionnés dans le dialogue. Les autres, on ne savait pas d’avance s’ils allaient parler ou non, si on ne verrait d’eux qu’un profil, etc.
À propos de l’image de Hollywood donnée par le film.
R.A. : Le film décrit Hollywood avec exactitude, mais ce que nous montrons est bien naïvement au-dessous de la réalité. D’ailleurs Hollywood n’a pas perdu, comme il est dit, son intégrité, Hollywood a toujours été mené par la cupidité, le désir de gagner et Hollywood a toujours tenté de se débarrasser des artistes. Comme les gens d’Hollywood n’y arrivent pas, nous sommes, nous les artistes, toujours là. Les écrivains, tout passe par eux, un film commence par un texte écrit. On voudrait se passer de ces gens qui coûtent de l’argent. Les vrais écrivains qui pourraient être à l’origine de vrais films, ceux-là crèvent de faim. Quand Hollywood aura fini de recopier des œuvres antérieures et de faire des remakes, il faudra bien qu’on se dise "et maintenant qu’est-ce qu’on fait ?", et ils auront besoin des artistes. Pour moi, c’est mon quatrième retour. Ce n’est pas moi qui suis parti, on m’a chassé. Mais je suis toujours là.
Question à Tim Robbins, à propos de son personnage.
Tim Robbins : J’ai toujours essayé dans mes films de ne pas porter de jugement sur les personnages que je représente à l’écran. Mon personnage dans The Player est une combinaison de plusieurs personnes que j’ai connues. Le pari de Robert Altman et le mien c’est de rendre sympathique une figure antipathique. Ne pas jouer le "méchant" mais un personnage plus complexe et rendre le choix moral plus fort.
À propos des happy-ends, du public qui les exige et des remaniements des films après tournage.
R.A. : Si vous voulez vraiment une happy-end dans The Player, je la vois dans cette image de la jeune épousée dans une voiture couverte de fleurs et enceinte, une fille dont le fiancé vient de se faire assassiner. Elle est enceinte et on peut penser que le fruit de ses entrailles va grandir et devenir l’héritier de tout ce beau monde.
Au moment de l’avant-production, nous avons beaucoup discuté entre nous, de ces films dont la fin avait été modifiée après l’achèvement du tournage. Nous avons introduit ce problème dans le récit. Que le public exige ce type de film et ces fins qu’on leur donne, c’est son problème. Mais n’allez pas me reprocher d’attaquer un public qui serait lui-même victime. C’est un peu comme si on appelait victimes ceux qui faisaient la chasse aux sorcières, les foules lyncheuses. Ce qui s’est passé récemment à Hollywood a quelque chose à faire avec cette obsession des foules pour les happy-end et qui sont confrontés à la réalité. Et vous les journalistes, ce serait votre rôle d’aider le public à changer. Vous pourriez commencer par cesser de mettre à la Une des journaux et de la télé les succès du box office et, au premier du box office, substituer le premier de la valeur artistique.
À propos de sa présence à Cannes.
R.A. : Ce qui n’a aucune importance à Cannes, c’est la compétition, je suis contre. Mais Cannes est important parce que les journalistes sont présents et qu’ils sont les intermédiaires qui, en rentrant chez eux, peuvent faire connaître nos œuvres à leur public. Un festival, c’est l’occasion de faire découvrir au public de nouveaux cinéastes, de nouveaux écrivains, de nouveaux acteurs. Je soutiendrai toute ma vie les festivals.
Son avis sur le cinéma européen et des pays de l’Est.
R.A. : Le monde occidental - et j’y inclus des pays riches comme le Japon - produit le même type d’œuvres, ils font tous pareil, des films qui font du fric. Si je remonte loin, les films qui étaient originaux, des films comme Le Voleur de bicyclette (1) ont aujourd’hui disparu. Les films des petits pays qui n’ont pas beaucoup d’argent ne sont plus vus, nous devenons un grand groupe et le sens de l’individu n’existe plus. Nous sommes de parfaits "répliquants". Il existe partout des films merveilleux mais ils ne trouvent plus de public. Aux USA, on ne voit pas ces films. Vous savez qu’aux USA on ne voit pas de versions originales. Or un film doublé n’est plus que la moitié de lui-même. Ce qu’il faudrait pour que ces films soient vus, et rompre le cercle vicieux qui fait que les films artistiques ne trouvent pas d’audience, c’est jouer sur la longue distance. Or les responsables de la distribution sont des nuls qui ne connaissent que le profit immédiat, le fric qui leur permet d’acheter une piscine. On devrait les virer. En ce qui me concerne, j’ai fait des films pendant plus de trente ans et ils n’ont jamais tenu plus d’une semaine au box-office. Personne à l’époque n’a pensé que ces films pouvaient revivre avec le câble ou la vidéo. Les négatifs ont disparu.
Propos recueillis par Gérard Camy
Cannes, 9 mai 1992
Jeune Cinéma n°215, mai-juin 1992
* Cf aussi "The Player", Jeune Cinéma n°215, mai 1992.
1. Le Voleur de bicyclette (Ladri di biciclette) de Vittorio De Sica (1948).
The Player. Réal : Robert Altman ; sc : Michael Tolkin d’après son roman ; ph : Jean Lepine ; mont : Géraldine Peroni ; mu : Thomas Newman. Int : Tim Robbins, Greta Scacchi, Peter Gallagher, Vincent d’Onofrio, Fred Ward, Sydney Pollack, Whoopi Goldberg, et aussi, dans leurs propres rôles, Harry Belafonte, Cher, James Coburn, John Cusack, Peter Falk, Jeff Goldblum, Elliott Gould, Anjelica Huston, Jack Lemmon, Andie MacDowell, Malcolm McDowell, Nick Nolte, Julia Roberts, Susan Sarandon, Rod Steiger, Robert Wagner, Bruce Willis... (USA, 1992, 124 mn).