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Algérie du possible - La Révolution d’Yves Mathieu (2015)
de Viviane Candas
publié le mardi 6 décembre 2016

par Lucien Logette
Jeune Cinéma en ligne directe

Sorties le jeudi 15 octobre 2015 à la Cinémathèque d’Alger et en France le mercredi 7 décembre 2016.

Cf. aussi l’entretien entre Viviane Candas et Olivier Hadouchi.

Photos©Daniel Leterrier (droits réservés)

Manifestation du 5 juillet 1964 pour l’anniversaire de l’Indépendance.
 


Plus que le titre, qui sonne presque comme un oxymore - ce n’est que dans les dernières minutes qu’un des interlocuteurs de la réalisatrice parlera, sans doute pour s’en convaincre lui-même, "d’élargir le champ du possible" -, c’est le sous-titre qui décrit le projet : "La révolution d’Yves Mathieu".

Révolution courte, dix années, entre 1956 et 1966, mais années définitives, inoubliables, pour qui s’intéresse à l’Algérie.

C’est l’histoire d’une engagement, celui du père de la réalisatrice, avocat du FLN durant les "événements" (le terme de "guerre" ayant été banni durant toute la période), compagnon de route actif des Algériens après l’indépendance, mort dans un accident de voiture à un moment crucial, alors qu’une nouvelle orientation, et pas la plus heureuse, était imprimée à la révolution.

Viviane Candas n’a pas beaucoup connu son père, disparu lorsqu’elle avait 11 ans et qu’elle n’avait rejoint que tardivement en Algérie.
Presque cinq décennies plus tard, c’est une image floue et un portrait lointain qu’elle s’est attachée à reconstituer.

À partir de peu de choses, les quelques traces qui demeurent d’une vie après un si long temps - de rares photos, des lettres, des bouts de films de vacances ; des témoignages surtout, ceux d’anciens amis, plus très nombreux, Henri Coupon, Annette Roger-Beaumanoir, Jean-Marie Boëglin, Meziane Chérif (certains parmi eux, comme Ben Bella ou Jacques Vergès, ont disparu depuis), mais l’esprit toujours intact.
De cette juxtaposition de souvenirs émerge peu à peu un personnage passionnant, au trajet peu commun.

Engagé à 17 ans (il était né en 1924), Yves Mathieu participe à la libération de la France et la guerre terminée, s’inscrit au Parti communiste, puis milite au Rassemblement démocratique africain, pour une belle raison qu’il exprimera ainsi : "J’ai passé trois ans à combattre le fascisme allemand, je dois maintenant combattre ce fascisme français qu’est le colonialisme" - un extrait de Afrique 50, le premier film de René Vautier, vient souligner cette déclaration.

Le rapprochement avec le nom de Vautier n’est pas vain : Mathieu soutient le FLN dès 1957, ce qui lui vaut d’être exclu, avec son épouse, du PCF, et, avocat, il défend, comme Coupon et Vergès, les accusés algériens.
Après 1962, il va travailler pour le nouveau gouvernement, s’occupant des "biens vacants", abandonnés par les Pieds-Noirs. C’est le moment de la "dernière révolution romantique", selon le mot de Chérif Belkacem-Djamel, celui où tous les possibles sont envisageables.

Comme Cuba, l’Algérie est alors un phare, l’endroit où Nasser ou Guevara, viennent pour soutenir le cours nouveau. Mathieu s’engage à fond dans l’autogestion, ce grand espoir qui devait matérialiser la marche vers l’établissement du socialisme dont rêvaient tous les pays du tiers-monde qui accédaient à l’indépendance.

Autogestion : Fondation du premier comité de gestion par Ben Bella
 

Espoir vite déçu : comme l’admet un des témoins, "l’autogestion, c’est une culture que nous n’avions pas, nous n’étions pas préparés". La bureaucratie étatique est rapidement venue à bout de l’expérience. Et le putsch mené par Boumedienne en janvier 1965 pour éliminer Ben Bella du pouvoir a fait basculer la révolution algérienne dans une autre direction.

Le film revient de façon très développée sur toute cette période, ces différentes étapes qui ont conduit à "un trou noir" - le tout pas souvent abordé par l’histoire officielle.
Yves Mathieu fait partie des déçus, ce qui n’est jamais très bien vu par le pouvoir en place. Aurait-il fréquenté des opposants à Boumedienne ? Était-il surveillé ? En tout cas, des bruits courent quant à l’accident de voiture qui a causé sa mort, ce camion militaire qui n’aurait pas dû être là, cette ambulance prête à intervenir.
Paranoïa ou questionnement légitime ?
Il est un peu tard pour éclaircir les faits. Mais cette disparition à 42 ans d’un partisan historique de la révolution et de l’autogestion, au moment où la première change de voie et où la seconde s’effondre, ne peut que faire naître un doute raisonnable.

La réalisatrice ne cherche d’ailleurs pas à mener un procès a posteriori, mais à dégager de la brume un passé qui n’est peut-être jamais vraiment passé, manière d’exorciser le souvenir.
Malgré qu’elle en ait, malgré les témoignages, les descriptions, son père demeure mystérieux. Était-il ce "naïf", dont parle Vergès, "cet homme tout d’une pièce" trop rigide pour s’adapter à une situation qui ne correspondait pas à son espérance et à ses pratiques ? Cette personnalité charismatique qui en imposait par sa seule présence, comme dit un autre ?

Autogestion : Fondation du premier comité de gestion par Ben Bella
 

Quoi qu’il en soit, le film est remarquable, reconstruisant avec émotion, mais sans pathos, l’image de l’absent.
Il y a les témoignages, certes, mais aussi les paysages algériens, cette superbe plongée initiale sur le ravin de Constantine, ces extraits de films oubliés (1), et ces magnifiques photos, inconnues, des belles années de la révolution, signées Daniel Leterrier, qu’on aimerait découvrir plus encore.

Une des dernières phrases du commentaire nous interpelle : "Anti-impérialisme, anticolonialisme : que signifient ces mots dans le monde d’aujourd’hui ?"
La question reste posée.

Lucien Logette
Jeune Cinéma ligne directe (octobre 2015)

1. Une si jeune paix de Jacques Charby (1963) ; Peuple en marche de René Vautier (1964) ; L’Aube des damnés de Ahmed Rachedi (1965) ; La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo (1966) ; Camp de Thiaroye de Ousmane Sembène (1987).

Algérie du possible. La révolution d’Yves Mathieu. Réal, sc, ph : Viviane Candas ; ph : Nasser Medjkane, Frédéric Mainçon ; mont : Claudine Dumoulin (France, 2015, 82 mn). Documentaire.

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