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Debord, Guy (1931-1994)
Brève
publié le dimanche 30 novembre 2014

par Lucien Logette
Jeune Cinéma en ligne directe

Journal de Ma’ Joad (dimanche 30 novembre 2014)


 


Il y a juste vingt ans aujourd’hui que Guy Debord a choisi de mettre lui-même fin à sa trajectoire dans le siècle. (1)


 

Dans In girum imus nocte et consumimur igni, (2) il disait :

Oui, je me flatte de faire un film avec n’importe quoi. Et je trouve plaisant que s’en plaignent ceux qui ont laissé faire de toute leur vie n’importe quoi.
J’ai mérité la haine universelle de la société de mon temps, et j’aurais été fâché d’avoir d’autres mérites aux yeux d’une telle société.
Mais j’ai observé que c’est encore dans le cinéma que j’ai soulevé l’indignation la plus parfaite et la plus unanime. On a même poussé le dégoût jusqu’à m’y piller beaucoup moins qu’ailleurs, jusqu’ici en tout cas. Je me vois donc placé au dessus de toutes les lois du genre
.

La postérité ne lui aura même pas offert un temps de purgatoire.
La société spectaculaire-marchande, qu’il avait si clairement analysée et dénoncée, s’est vengée en lui octroyant presque immédiatement un statut iconique.


 

Combattant solitaire, une fois mort, il ne dérangeait, en principe, plus personne.
Mais pour éviter que des éléments irréductibles ne s’arment, dans on ne sait quel dessein déraisonnable, de sa pensée critique, il convenait de la désamorcer. Par exemple, en en faisant un "trésor national", en achetant à prix d’or ses brouillons et ses notes de blanchisserie. (3)
Quelle meilleure façon que la panthéonisation pour figer définitivement ce grand cadavre qui risquait, sait-on jamais, de bouger encore ?
L’université s’est chargée du reste : l’Internationale situationniste est devenue un objet d’études, son fondateur un sujet de thèses.


 

Et ses films, pourtant peu avenants, ont rassemblé en quelques années plus de spectateurs que durant les quatre décennies précédentes.
Tout est donc pour le mieux dans un monde paisible.


 

Il n’empêche.
Comme Jeune Cinéma l’affirmait il y a trente et un ans, les chemins de la vieille taupe demeurent imprévisibles. Il n’est pas interdit de penser qu’elle est capable de provoquer encore quelques tressaillements - quoi de mieux que la dialectique pour casser des briques ? (4)

Lucien Logette
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Guy Debord était atteint de polynévrite alcoolique, maladie incurable. Il s’est suicidé chez lui en Haute Loire, le 30 novembre 1994,

2. Cf. À propos de In girum imus nocte et consumimur igni (1978) : Tentative de redressement de quelques jugements torves concernant le dernier film de Guy Debord.

3. En janvier 2009, l’État français s’est opposé à l’acquisition, par l’université Yale, des archives de Guy Debord, les classant au patrimoine national. La BNF les a achetées en mars 2010.
Elle a organisé une exposition, Guy Debord : un art de la guerre (27 mars-30 juin 2013), avec un catalogue : Laurence Le Bras & Emmanuel Guy, éds., Guy Debord, un art de la guerre, épilogue de Alice Debord et texte inédit de Guy Debord, "Les erreurs et les échecs de M. Guy Debord par un Suisse impartial", Paris, Gallimard / BNF éditions, 2013.
Elle a également organisé un colloque, qui s’est tenu à la BNF et à l’Institut suédois de Paris (24-25 mai 2013).

4. La dialectique peut-elle casser des briques ? de René Viénet (1973).



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