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Andriot, Josette (1861-1942)
publié le jeudi 3 décembre 2015

par Lucien Logette
Jeune Cinéma n° 333-334, automne 2010

Cette note est extraite de Josette et Victorin, puissance du cinéma retrouvé (Il Cinema ritrovato, Bologne 2010.)


 

Cf. aussi À la poursuite de Protéa.


Pour son nom de scène, Camille Élisa Andriot a préféré le prénom de Josette.
Elle est surtout connue pour ses rôles dans les serials de Victorin Jasset.

Sur les vingt films connus, la belle Josette est au générique de seulement seize.
Au vu des deux derniers que Bologne 2010 (1) présentait, on rêve de les découvrir un jour.

Car, aussi bien dans Protéa que dans La Danseuse de Kali (les deux titres sont sortis après la mort de leur réalisateur), elle règne insolemment, porteuse à chaque fois d’une mission qu’elle accomplira sans frémir.

Protéa marque en outre une date : avant Musidora, avant les super-girls américaines des serials, Pearl White, Ruth Roland ou Helen Holmes, il s’agit de la première apparition d’une héroïne "aventureuse" dans un rôle principal.
Lacassin, qui l’affirmait en 1998 (in La Persistance des images), en était moins certain en 2007.

Quoiqu’il en soit, il s’agit sans doute de la première espionne de l’écran, avant que la guerre crée le genre, puisque son travail consiste à rapporter au préfet de police de la Messénie le texte du traité secret signé entre la Celtie et la Slavonie (quasiment la Freedonia et la Sylvania des frères Marx) - la fièvre des Balkans était dans l’actualité.

De nouveau vêtue de son collant noir, qu’elle échange à l’occasion avec quelque autre tenue sportive, secondée par un homme de main aux multiples déguisements, l’Anguille (Lucien Bataille, ancien Zigoto à la Gaumont, et futur officier de La Coquille et le Clergyman), elle traverse des situations toutes périlleuses avec une maestria épastrouillante.

Le scénario ne doit rien aux romanciers populaires, mais tout à Victorin-Hippolyte Jasset, qui conduit l’affaire de main de maître ; même si la copie conservée était moins longue que l’originale (1056 mètres contre les 1475 indiqués par Deslandes), l’impression de plénitude est constante. Le rôle était taillé pour elle : Josette Andriot le tint encore à quatre reprises jusqu’en 1919, et Protéa V, après lequel elle quitta la maison Éclair. On peut applaudir des deux mains le poème de mirliton diffusé avec la publicité du titre inaugural de la série :

"Elle va, broyant tout, au nom de son devoir,
Sans pitié, mais sans haine, implacable, mortelle,
S’affublant de haillons, se parant de dentelles,
Cœur de marbre que rien ne saurait émouvoir
Elle est une puissance - et qui sait son pouvoir -
À chaque instant, "une autre", et pourtant, toujours "telle"…"


 

Dans La Danseuse de Kali, "drame du fanatisme indien", ultime film signé Jasset, le transformisme est moins utilisé.

Danseuse dédiée à la déesse maléfique, Josette quitte son temple pour récupérer le collier dérobé à la statue de sa maîtresse par un riche aventurier qui voulait faire plaisir à son épouse. L’Orient aux multiples facettes, l’implacable malédiction, les embûches de la vengeance, on est là dans la convention pré-Fu Manchu ; jamais pourtant on ne sourit, tant l’invention, à tous les niveaux, décors, costumes, jeu des acteurs (notons que Simone Genevois, un an, y fait sa première apparition) est étonnante.
Hiroshi Komatsu - la copie venait de sa collection - écrit dans sa présentation du catalogue : "The cold beauty of Josette Andriot is terrific". On ne saurait mieux dire.

Froide beauté mise en valeur par le jeu de la comédienne, ou plutôt par son non-jeu : pas de roulement d’yeux (ces roulements que Musidora n’évitera pas toujours), de sourcils froncés, de gesticulations ni d’emphase.
Qu’elle soit âme damnée du Maître du crime, chef-espionne intrépide ou prêtresse impitoyable, elle demeure impassible, accomplissant ses exploits avec une élégance unique que ne vient gâter aucune expression surabondante - à peine consent-elle à paraître effrayée devant la montée des eaux qui envahissent le tunnel sans issues où elle se cache avec Zigomar…
À défaut de connaître la quinzaine de films qu’elle a tournés après 1913, on peut rêver sur les autres Protéa, et sur des titres comme Le Baiser de la sirène ou Le Mort invisible, en évitant La Mascotte des poilus .
Laissons-nous imaginer que la puissance de sa cinégénie tient à sa rencontre avec Jasset, belle agrégation d’un réalisateur et de son interprète.
En tout cas, elle tient désormais une place de choix dans notre panthéon des belles silencieuses.

Lucien Logette
Jeune Cinéma n° 333-334, automne 2010

1. Il Cinema ritrovato 2010, Bologne (26 juin-3 juillet 2010).

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