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Kirsanoff, Dimitri (1899-1957)
à propos de {Ménilmontant} (1926)
publié le vendredi 16 septembre 2016

par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe

À propos de Ménilmontant et de sa partition musicale (1926)


 


Les études sur Dimitri Kirsanoff ne sont pas légion. En effet, rien depuis la monographie de Christophe Trébuil, publiée en 2003. (1) Aussi convient-il de signaler une parution en langue allemande de Jürg Stenzl. (2)
L’auteur est un musicologue suisse, spécialiste, entre autres, de Luigi Nono, s’est déjà permis quelques incursions dans l’univers du cinéma, notamment avec une étude sur le rôle de la musique chez Jean-Luc Godard. "Kirsanoff, cinéaste disparu", parce qu’on n’en entend plus parler, comme le protagoniste du roman de Kafka, Le Disparu, autrefois appelé Amerika.


 

L’ouvrage présente une importante partie documentaire, avec une traduction d’articles signés Dimitri Kirsanoff et publiés dans la presse de l’époque (six, dont trois figurent dans le livre de Christophe Trébuil). Il contient aussi un important dossier sur le film Rapt (1934), comportant un entretien avec Benjamin Fondane, qui travailla au scénario, tiré du roman de Ramuz, La Séparation des races, ainsi que des articles de Arthur Hoéré et de Arthur Honegger, évoquant leur collaboration avec le cinéaste.


 

Les analyses pointues d’une partition qui accompagnait Ménilmontant, (3) découverte aux États-Unis, et de celle d’un film perdu, Sables, un chapitre sur les Cinéphonies et l’examen approfondi de la bande sonore de Rapt intéresseront surtout les spécialistes du son au cinéma.


 

Que retiendra de véritablement nouveau le lecteur français ?

Jürg Stenzl précise considérablement la biographie d’un auteur qui, selon Christophe Trébuil, aurait eu "tendance à falsifier, ce qui, en général, sert à identifier".
Celui-ci hésitait entre deux dates de naissance (21 février ou 6 mars 1899), et deux lieux : Riga qui figurait sur le certificat de décès du cinéaste, ou bien Tartu, les deux villes étant alors situées dans l’empire russe. Jürg Stenzl a retrouvé une nièce du cinéaste, Francine Kaplan-Ryan, qui vit à Galway en Irlande.

David Kaplan, alias Dimitri Kirsanoff, est bien né à Tartu, le 6 mars 1899, dans une famille juive de langue allemande.
Ses parents, originaires de Riga, tenaient un magasin de nouveautés. La famille compte cinq enfants : un frère aîné sera médecin, un second, Nikolai, deviendra dentiste et rejoindra le cinéaste en France), et il y a deux sœurs, Mascha et Anna. La mère meurt peu de temps après la naissance de cette dernière.
Une superbe photo d’atelier, provenant des archives privées de Francine Kaplan-Ryan, montre trois des enfants Kaplan, dont David, alors âgés de moins de dix ans.


 

Le père aurait été fait prisonnier par l’armée russe au moment de la Révolution.
En 1919, le futur Dimitri Kirsanoff part, d’abord pour Berlin, puis pour Paris où il arrive en 1920. Les enfants avaient reçu une éducation musicale et David jouait du violoncelle. Elle confirme qu’il était bien accompagnateur de films muets dans les cinémas parisiens. Il aurait survécu à l’occupation allemande grâce à sa seconde épouse, Monique, d’abord à Saulnay sur Indre, puis à Albi.
Quant au nom de Kirsanoff, il l’aurait déniché dans le roman de Ivan Tourguéniev, Père et Fils.


 

La trouvaille de Jürg Stenzl, une partition accompagnant Ménilmontant, en est-elle véritablement une ?

Découverte à Madison, Wisconsin, elle a été réalisée sans l’aval de Dimitri Kirsanoff, qui en ignorait sans doute l’existence. Datée "probablement" de 1938, elle est signée d’un ancien collaborateur de Max Reinhardt, Arthur Klein, futur responsable du département musique à la cinémathèque du Museum of Modern Art de New York, nouvellement créée.

Ces éléments permettent d’éclairer la carrière souterraine du court métrage aux États-Unis. Ménilmontant est présenté pour la première fois au MoMA en 1936 dans le cadre d’un programme sur l’avant-garde française comprenant également La Souriante Madame Beudet, de Germaine Dulac (1923) et L’Étoile de mer, de Man Ray (1928).
John E. Abbott et Iris Barry, conservateurs de la cinémathèque, l’avaient choisi au cours d’un voyage en Europe l’été précédent (et acheté à Kirsanoff pour 1000 dollars). Ces bandes devaient faire partie du fonds permanent du MoMA. Mais le programme était également destiné à être diffusé dans les musées, les universités et les ciné-clubs du pays tout entier. Ces tournées étaient importantes, puisque, selon des chiffres de la saison précédente, les programmes avaient été vus 62 fois, dans des institutions de 22 États.


 


 

Ménilmontant de Dimitri Kirsanoff a circulé au États-Unis. Il était connu d’un public cultivé et, sans aucun doute, de la fine fleur de l’underground.
On ne s’étonnera pas de ce qu’il ait figuré, dès 1956, dans l’édition suédoise de l’ouvrage de Peter Weiss, Cinéma et Avant-Garde (4)
Et que Walter S.Michel ait rendu un hommage vibrant à Dimitri Kirsanoff, rencontré par l’intermédiaire Lotte Eisner, peu de temps avant la mort du cinéaste à Paris, dans un article publié en 1957 dans Film Culture, la revue des frères Mekas.
C’est un des mérites de l’ouvrage de Jürg Stenzl que d’avoir publié ce texte en allemand.

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe (16 septembre 2014)

1. Christophe Trebuil, L’Œuvre singulière de Dimitri Kirsanoff, Paris, L’Harmattan, 2003.

2. Jürg Stenzl, Dmitrij Kirsanov, ein verschollener Filmregisseur, Munich, Edition Text+Kritik, 2013.

3. "Ménilmontant", in Jeune Cinéma n°n°361-362, automne 2014.

4. Peter Weiss, Cinéma et Avant-Garde, Paris, L’Arche, 1989.


Ménilmontant. Réal, sc, mont : Dimitri Kirsanoff ; ph : D.K. & Léonce Crouan. Int : Nadia Sibirskaïa, Yolande Beaulieu, Guy Belmont, Jean Pasquier, Maurice Ronsard (France, 1926, 38 mn).


Bonus :

* Les Berceaux de Dimitri Kirsanoff (1935).

* Le chant obsédant des Berceaux.

* Et dans la foulée La Fontaine d’Aréthuse (1936).



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