Rencontre avec Charlotte Silvera
à propos de Louise... l’insoumise (1984)
Jeune Cinéma n°166, avril 1985
Jeune Cinéma : Un premier film, ce sont de multiples problèmes techniques. Commençons par le scénario.
Charlotte Silvera : Il m’a fallu à peu près deux ans pour le mettre au point - et six moutures successives. La dernière s’est d’ailleurs vue réduire peu à peu au moment du tournage, car encore trop longue. J’arrivais à un minutage de presque deux heures, impossible à envisager pratiquement. Le scénario était terminé en janvier 1982, et j’ai obtenu l’avance sur recettes à la session d’octobre.
J.C. : Pourquoi un tournage si tardif (juillet 1984) ?
Ch.S. : L’avance était valable jusqu’en mars 1984, mais le tournage devait obligatoirement être effectué pendant les vacances scolaires, j’ai pu avoir un sursis jusqu’à l’été. De toutes façons, j’ai eu beaucoup de mal à trouver un producteur. L’avance fonctionne à la fois comme une bonne et une mauvaise chose. Elle est bien sûr nécessaire, mais elle sous-entend trop souvent une mauvaise image du film à faire : du cinéma d’auteur, sans public assuré, donc sans rentabilité prévisible. Même les chaînes de télévision s’en méfient maintenant. J’avais trouvé un producteur important qui exigeait une chaîne pour co-produire. Antenne 2 venait de produire Le Destin de Juliette de Aline lssermann (1), et il n’était pas question pour elle de recommencer une expérience similaire. Quant à FR3, Louise ne correspondait pas à l’optique qui était la sienne à l’époque pour les coproductions. Par ailleurs, elle acceptait de le réaliser comme un téléfilm-maison, mais c’est moi qui ne le désirais pas. Du coup, j’ai tout perdu, mon producteur et les télévisions.
J.C. : La préparation du tournage ?
Ch.S. : Les acteurs constituent la partie la plus délicate dans le montage d’un tel projet. À la limite, les conditions actuelles du commerce font qu’il faudrait penser à eux presque avant l’écriture du scénario. Cela éviterait de s’épuiser après en se dispersant. J’ai trouvé mes comédiens un an avant de tourner. Je ne voulais pas des stars, mais des comédiens prêts au risque, qui me feraient confiance. Catherine Rouvel et Roland Bertin s’y sont intéressés et m’ont beaucoup soutenue.
Pour les enfants, j’ai cherché partout, dans les écoles, dans les jardins, partout. J’ai testé plusieurs centaines de petites filles, mais c’est après avoir fait mon choix que j’ai appris que Myriam Stern et Joëlle Tami (Louise et Gisèle dans le film) étaient juives. À l’examen, Myriam semblait la plus tranquille, la plus posée. En discutant avec elle, j’ai senti une énergie, une faculté de révolte disponible que son milieu familial très aisé, très protecteur, lui interdisait d’utiliser. Parmi toutes les petites filles retenues, quelques-unes avaient déjà fait un peu de figuration, une seule avait fait du théâtre. Je les ai toutes rassemblées pendant les vacances de Noël 1983, et nous avons lu le scénario à plat sans attribution de rôles pour éviter tout a priori. Elles ont parlé des petites filles du film avec un enthousiasme qui m’a encouragée. L’attribution des rôles s’est faite sans trop de problèmes, chacune cherchant surtout à savoir combien elle avait de lignes de dialogue. Myriam était celle qui, naturellement, s’adaptait le mieux au personnage de Louise. Déjà dominatrice, elle entretenait avec les autres des rapports semblables à ceux du film. Et comme dans le film, les autres étaient un peu fascinées par son étrangeté : qu’est-ce qu’un enfant juif, qu’est-ce que la nourriture casher ? etc.
J.C. : Justement, vous n’avez pas eu de problème d’ordre religieux...
Ch.S. : Au début, quelques-uns, et assez importants. Myriam et Joëlle sont élèves dans des écoles juives traditionnelles et viennent de milieux très religieux, assez évolués pour les uns (les parents de Myriam), les autres plus intégristes (ceux de Joëlle). Quand ils ont lu le scénario, ils n’ont pas pu admettre que l’on montre un père de famille juif en train de lire des revues pornographiques, ni une mère de famille chez elle en peignoir ouvert. Il a fallu que j’aille régler tous ces problèmes avec les rabbins, en assurant qu’aucune contamination morale ne guettait les enfants. Et sur le tournage, tous les rites religieux ont été respectés. Lorsque Louise prépare la choucroute chez ses amies, on avait d’abord sorti la choucroute de sa boîte pour la cachériser avant de l’y remettre, la cuillère qu’elle prenait dans le tiroir était cachérisée, etc.
J.C. : Cette longue période de préparation avant le tournage n’a pas été préjudiciable ?
Ch. S. : Non, j’ai gardé constamment le contact avec elles. Elles ont vécu avec leur personnage : Myriam, par exemple, me téléphonait pour parler de l’influence du rôle de Louise sur son quotidien ; elle ne voyait plus l’école ou les rapports familiaux du même œil.
J.C. : Le tournage ?
Ch. S. : On a tourné en sept semaines, l’été 1984, cinq semaines de studio, deux semaines d’extérieur. Pour moi, ces dates ont créé un problème. Je voulais tourner à Bobigny, dans la cité-jardins construite par Émile Aillaud. Lorsque nous avons été y faire nos derniers repérages, catastrophe, il y avait des arbres partout, un vrai nid de verdure. Or Louise est très précisément daté, tout au moins dans mon esprit, du 24 février au 4 mars 1961, pendant l’évasion de femmes de la Petite-Roquette (2). Même si très peu de spectateurs se souviennent du l’événement et de sa date, il ne me paraissait pas possible, sur le plan de l’honnêteté, de mélanger ainsi les saisons. Le film devait avoir l’air de se passer en février 1961. Nous nous sommes donc rabattus sur la cité-jardins de Chatenay-Malabry, moins verdoyante, et en soignant le cadre, on a réussi à éliminer à peu près tous les éléments qui auraient pu faire douter de la saison évoquée. Mais tout n’a pas toujours été simple. Les petites filles jouant dans la cour de récréation le 20 juillet 1961, avec des manteaux et des passe-montagnes, par exemple. Pour l’école, je voulais une école ouverte sur la rue, et je ne l’ai trouvée qu’à Saint-Gratien, par hasard.
Quant aux cinq semaines de studio, tout le monde m’avait prévenue : un tournage dans un tel huis-clos, avec de tels rapports familiaux, ça allait se finir en massacre. Au contraire, l’ambiance a été extraordinaire, surtout dans les rapports enfants-adultes. Les gosses se souvenaient parfaitement des dialogues de la dernières version du scénario, et n’acceptaient pas d’en voir supprimer des phrases.
Propos recueillis par Lucien Logette
Jeune Cinéma n°166, avril 1985
* "Louise... l’insoumise", Jeune Cinéma n°166, avril 1985.
1. Le Destin de Juliette de Aline Issermann (1983) était son premier film.
Cf. Jeune Cinéma n° 152, juin 1983.
2. Dans la nuit du 23 au 24 février 1961, six détenues de la prison de la Petite-Roquette se sont évadées : Micheline Pouteau, Hélène Cuenat et Joséphine Carré (condamnées lors du procès du réseau Jeanson, le 1er octobre 1960), ainsi que les Algériennes Fatima Hamoud et Zina Haraigne, et l’Égyptienne Eliane Rossario.
L’épisode est évoqué dans le n°spécial consacré à Andrée Tournès.
Micheline Pouteau était une collaboratrice de Jeune Cinéma, cf. par exemple, en ligne, son article sur If de Lindsay Anderson (1968).
Louise l’insoumise. Réal : Charlotte Silvera ; sc : Ch.S. & Josée Constantin ; ph : Dominique Le Rigoleur ; mont : Geneviève Louveau ; mu : Jean-Marie Sénia ; déc : Sylvain Chauvelot & Jérôme Clément. Int : Catherine Rouvel, Roland Bertin, Marie-Christine Barrault, Myriam Stern, Joëlle Tami, Deborah Cohen, Lucia Bensasson, Dominique Bernard (France, 1984, 100 min).