home > Personnalités > Trintignant, Jean-Louis (1930-2022)
Trintignant, Jean-Louis (1930-2022)
Brève
publié le dimanche 19 juin 2022

Jeune Cinéma en ligne directe
Journal de Shi-Wei 2022 (2e quinzaine de juin 2022).


 



Dimanche 19 juin 2022

 

Jean-Louis Trintignant (1930-2022) est mort avant-hier, vendredi 17 juin 2022.


 

C’était un acteur populaire, et sa disparition fait les gros titres de la grande presse, avec tous les qualificatifs habituels et convenus, emblématique, incontournable, immense, etc. On s’accorde à lui reconnaître une voix charmante, et un sourire exceptionnel (parce que toujours inattendu). Et la présentation de sa carrière est, à juste titre, rythmée par quelques uns de ses films les plus importants : Et Dieu créa la femme de Vadim (1956), le premier.


 

Puis Un homme et une femme de Claude Lelouch (1966), Z de Costa Gavras (1969), et Amour de Michael Haneke (2012).


 

Le rôle de la grande presse n’est pas d’être exhaustive, bien sûr. Toutefois, le profil de l’acteur, ainsi esquissé, est plus qu’approximatif, déformant même.
Par exemple, à part Le Conformiste (Il conformista) de Bernardo Bertolucci (1970), est évacuée sa longue filmographie italienne (une vingtaine de films, entre 1959 et 1983), avec notamment Ettore Scola, Dino Risi, Valerio Zurlini, Gianni Amelio ou Sergio Corbucci.


 

On ne remarque pas non plus spécialement que ce quasi jumeau de Jean-Luc Godard n’ait jamais rencontré la Nouvelle Vague.
Et ses quatre films avec Alain Robbe-Grillet sont passés sous silence : Trans-Europ-express (1967), L’Homme qui ment (1968), Glissements progressifs du plaisir (1974) et Le Jeu avec le feu (1975).


 

Naturellement n’apparaissent pas du tout Il pleut sur Santiago de Helvio Soto (1975) ou La Controverse de Valladolid de Jean-Daniel Verhaeghe (1992), et pratiquement pas le méconnu Le Combat dans l’île de Alain Cavalier (1962), et le cinéphilique Ma nuit chez Maud de Éric Rohmer (1969).


 

Son travail de réalisateur est totalement ignoré. Il reconnaissait ne pas avoir l’esprit de meneur nécessaire et ses deux films furent des échecs commerciaux. Mais si son second film, Le Maître nageur (1978), est inégal, son premier, Une journée bien remplie (1972) est remarquable.


 

Dans le paysage du cinéma français, Jean-Louis Trintignant est de la génération (et de la confrérie) des grandes stars, comme Alain Delon (né en 1935) ou Jean-Paul Belmondo (1933-2021). Mais il laisse une image moins "élémentaire" et plus contrastée que ses deux collègues, le beau ténébreux et le joyeux casse-cou.
Lui, c’est comme s’il n’avait jamais été une vraie tête d’affiche, et avait occupé moins de place sur les écrans et dans les mémoires, alors même qu’il a tourné plus de films et téléfilms (146 selon Imdb).


 

C’est aussi comme si le destin avait obligé cet acteur discret à n’apparaître au premier plan public qu’avec sa vie privée, spécialement sa liaison avec Brigitte Bardot à ses débuts, et la mort tragique de sa fille Marie Trintignant, à la fin. Le reste du temps, il était un acteur familier et permanent, avec une place naturelle à la fois dans le cinéma d’auteur et le cinéma grand public français.


 


 

Tous les grands acteurs sont des êtres rares et incomparables. Intérieurement, ne serait-ce qu’à cause des sédimentations formées au long des années par leurs personnages successifs mêlés à leur personnalité de base. Extérieurement aussi, la popularité est un ingrédient mystérieux que ne connaissent pas les humains ordinaires. Les grands acteurs qui ont une longue vie sont les plus denses, mais, s’ils demeurent énigmatiques, ils ont une image publique à peu près univoque.


 

Jean-Louis Trintignant, lui, on ne peut pas l’identifier aussi facilement. À la fois grand séducteur et tempérament chagrin à la Hamlet, distant et atypique, ambitieux et réservé, à la parole pénétrante et inhibée, sans grande prestance physique, mais avec une vraie envergure psychique, il était paradoxal, avec une virilité un peu féminine, pas étonnant qu’il ait admiré Gérard Depardieu. Il aura aimé naviguer dans les eaux troubles, et aura suivi une sorte de route parallèle.
Il disait de lui-même : Enfant, j’étais très teigneux et bagarreur. Plus tard, il disait : J’ai été antipathique, je me suis mal conduit, j’ai eu une vie de beau mec un peu prédateur, j’étais joli, j’étais timide avec les femmes et assez maladroit. Plus tard, encore : Je ne suis pas un acteur brillant, et aussi : Le public ne m’aimait pas.


 

Il faut dire qu’il aura affectionné les rôles ambigus, et préféré les salauds aux héros. Qu’on se souvienne du Conformiste, du Combat dans l’île, de Paris-brûle-t-il ?


 


 

Il vieillissait bien, et parlait bien de cette période de la vie, à la fois chance et épreuve, il devenait une belle personne, avec une vraie belle gueule. Retourné sur les planches à la fin de sa vie, avec les mots de Jacques Prévert, de Robert Desnos ou de Jules Laforgue, il était déchirant.


 

Sur les réseaux sociaux, on l’aime. Sa mort laisse des traces subjectives et originales. Chacun a son Trintignant à soi.
Jeune Cinéma lui est reconnaissant d’être celui des deux mâles de Antinea qui survit, dans Journey Beneath the Desert (Antinea, l’amante della città sepolta) de Edgar G. Ulmer & Giuseppe Masini (1961).


 

Bonne lecture :

* Serge Korber & Jean-Yves Katelan, Jean-Louis Trintignant. Dialogue entre amis, Paris, La Martiniere, 2020.


 

À la Maison de la radio : Trintignant, Mille, Piazzolla.


 

Sur France Culture.



Revue Jeune Cinéma - Mentions Légales et Contacts