home > Films > Salamandre (la) (1971) (rebond)
Salamandre (la) (1971) (rebond)
de Alain Tanner
publié le mercredi 8 mai 2019

par Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°287, janvier 2004

Sélection de la Quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes 1971
Sélection du Forum à la Berlinale 1971

Sorties les mercredis 27 octobre 1971, 28 juin 2004 et 8 mai 2019


 


Salamandre : petit batracien urodèle noir taché de jaune, dont la peau secrète une humeur très corrosive. Jaune mis à part, pour un film dont - dit le générique - le blanc et le noir constituent la couleur, la définition du Robert convient, et au personnage de Bulle Ogier, et à l’esprit du film.


 

Trente-deux ans déjà, c’était, dans la rue Saint-André-des-Arts, l’inauguration du cinéma homonyme, la mutation d’un commerçant grec, Roger Diamantis, en cinéphile parisien, le pari gagné d’un jeune cinéaste, Gabriel Auer, improvisé producteur, la consécration de Alain Tanner et celle du jeune cinéma suisse. Le 28 janvier 2004, aura ouvert une rétrospective Tanner, lancée à son tour par son dernier surgeon, le retour de Paul, avec Paul s’en va (2).


 

L’amphigourisme de ce début trahit l’embarras à résumer le film. En remontant le temps, on trouve le jeune Alain Tanner flanqué de l’ami Claude Goretta (le duo avait animé dès 1951 le ciné-club universitaire de Genève), à Londres en 1956, mêlés aux tenants du Free Cinema, (1) eux-mêmes proches des angry young men : Nice Time, leur premier film, fait bonne figure auprès des documentaires de Lindsay Anderson, Karel Reisz, Tony Richardson.


 

Colère et liberté, le documentaire fermente de grandes fictions : quelques clefs pour La Salamandre. On y retrouve les duos, Pierre et Paul, Jean-Luc Bideau et Jacques Denis, le Noir et le Blanc, le journaliste qui pense à l’argent, l’écrivain qui blanchit les murs pour gagner son pain. Un moment étoilé du film montre Paul, l’écrivain, induisant à partir des maigres données d’un fait d’hiver - un coup de fusil, un vieil homme tué, une nièce soupçonnée et absoute - toutes les riches virtualités de l’imaginaire. Pierre impose l’enquête, celle du cinéma qui se croit "vérité", avec ses séquelles : mutation de l’objet observé, impossibilité de fixer Rosemonde, l’échec du projet, le retour à la case départ, la table est rase.


 


 

On aime le didactisme qui s’affiche, la leçon de Paul à Rosemonde : ne pas se tromper d’ennemi, précepte ô combien actuel. On aime les couleurs de Renato Berta, alors jeune chef-opérateur, quand du noir au blanc se décline toute la gamme des gris. On aime surtout la partie de rigolade dans la forêt quand Pierre et Paul, l’amitié retrouvée, se renvoient en balles de ping-pong les slogans maoïstes de 1967 - ne pas oublier, disait Alain Tanner, que tout s’ébranla avant 1968, et ailleurs qu’en France.


 

Première séquence, Rosemonde en redingote noire marche lentement le long d’une rive, Renato Berta la suit au même rythme ; aucune signification.
Dernière séquence, Rosemonde, libérée d’un travail à la chaîne, marche comme au début et, surprise, elle se tourne vers nous en gros plan et sourit.


 

Revient alors à la mémoire la remarque d’un spectateur que La Salamandre avait touché. Il y trouvait, citant Saint-Just, une image du bonheur, une idée neuve en Europe.

Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°287, janvier 2004

* Cf. aussi "La Salamandre," Jeune Cinéma n°58, novembre 1971.

1. "Le Free Cinema (1956-1963)", Jeune Cinéma n°19, décembre 1966-janvier 1967.

2. Paul s’en va de Alain Tanner (2004). Il déclare, sur son site : "Paul, c’est le nom que j’ai donné à tous les personnages avec lesquels j’ai quelque affinité ou quelque chose à voir". Il dit aussi : "À 75 ans, j’en ai marre de me battre pour trouver un financement. Marre aussi d’être obligé de faire ensuite la promotion. Paul s’en va est mon dernier film. J’ai eu de la chance jusqu’à présent. Grâce au succès international de La Salamandre que je n’attendais pas, j’ai pu produire mes vingt et un films et rester complètement indépendant artistiquement. Aujourd’hui, c’est de plus en plus difficile de trouver les moyens de ses rêves. Je choisis donc de me retirer pour écrire".


La Salamandre. Réal : Alain Tanner ; sc : A.T. & John Berger ; ph : Renato Berta & Sandro Bernardoni ; mont : Brigitte Sousselier & Marc Blavet ; mu : Patrick Moraz. Int : Bulle Ogier, Jean-Luc Bideau, Jacques Denis, Véronique Alain, Daniel Stuffel, Marblum Jequier, Marcel Vidal, Dominique Catton, Violette Fleury, Mista Préchac, Pierre Walker, Janine Christoffe, Guillaume Chenevière, Claudine Berthet, Michel Viala, Jean-Christophe Malan, François Simon (Suisse, 1971, 124 mn).



Revue Jeune Cinéma - Mentions Légales et Contacts