Carlos Saura (1932-2023) est mort vendredi matin, le 10 février 2023.
Né en janvier 1932 à Huesca, Aragon, il est pratiquement contemporain de la Seconde République espagnole, proclamée le 14 avril 1931, et de ses troubles. Ainsi son destin va-t-il être intimement lié à la Guerre civile espagnole (1936-1939). Il n’a que 4 ans à ses débuts et, à la fin, 7 ans l’âge de raison. Il va se construire, lui et son œuvre, à partir d’une première éducation libérale, puis, en contradiction, à l’intérieur d’une famille maternelle très religieuse. Toute son enfance et sa jeunesse, il va la vivre sous le franquisme.
De 1957, année où il sort diplômé de l’Instituto de investigaciones y estudios cinematográficos de Madrid, à 1975, année de la mort de Franco (il a alors 43 ans), il va s’attacher à réaliser des films engagés et rusés, au style sophistiqué, défiant la censure, avec la famille comme métaphore de la société.
En France, le grand public l’a découvert à partir de Peppermint frappé (1967), Ours d’argent du meilleur réalisateur de la Berlinale 1968.
Puis sa présence s’est confirmée avec trois films sélectionnés au Festival de Cannes :
* Anna et les Loups (Ana y los lobos, 1973)
* La Cousine Angélique (La prima Angélica, 1974), Prix du Jury.
* Cria Cuervos (1976).
L’après-franquisme et la Movida, qu’il avait contribué à engendrer de façon souterraine, il les observe et les accompagne avec deux films plus distants, "tragicomiques", selon son expression.
Il commence par terminer sa première période avec Maman a 100 ans (Mamá cumple cien años, 1979), la suite de Anna et les loups, où s’accomplit son "réalisme", teinté de fantastique ironique.
Puis, il aborde les temps nouveaux et, avec Vivre vite (Deprisa, deprisa,) il fait une incursion dans une nouveau genre de dénonciation : après la dictature, il n’est point de paradis. Le film obtient l’Ours d’or du meilleur film à la Berlinale 1981.
Après cette transition, il commence sa seconde période, en revenant au monde culturel de ses origines - sa mère était pianiste, son frère aîné, Antonio Saura (1930-1998) est un peintre et un écrivain reconnu. Lui-même est photographe et expose régulièrement.
Il va consacrer désormais son œuvre surtout à la danse et à la musique, tout particulièrement au flamenco, avec trois films : Noces de sang (Bodas de sangre, 1981) à partir de Federico Garcia Lorca, Carmen (1983) à partir de Prosper Mérimée et Georges Bizet, et L’Amour sorcier (El amor brujo, 1985), avec Antonio Gades, d’après Manuel de Falla. Cette trilogie sera complétée par Flamenco (1995), et Flamenco Flamenco (2010) deux "documentaires" musicaux flamboyants.
Pour la peinture, il est permis de penser son long métrage Goya (Goya en Burdeos, 1999) comme un hommage à son frère mort l’année précédente. On note aussi le court métrage Goya 3 de mayo (2021).
Entre 1956 et 2022, 66 ans de carrière, il aura réalisé 51 films (courts et moyens métrages compris). Alors que son ultime film, Bach, est en cours de post production, son dernier film, Las paredes hablan une réflexion sur l’histoire de l’art depuis les grottes préhistoriques jusqu’aux murs des villes, est sorti le 3 février 2023 en Espagne.
Il aura été invité dans tous les festivals internationaux et couvert de récompenses. Il devait recevoir à Séville un Goya d’honneur pour l’ensemble de sa carrière, hier, ce samedi 11 février 2023.
Même si ce sont les films de la seconde partie de sa carrière qui ont été le plus récompensés, c’est sa "période Geraldine Chaplin (1967-1979)" qui demeure primordiale dans notre mémoire. Elle se superpose à sa période anti-franquiste, toujours brûlante.
En témoignent les rebonds :
* ¡Ay, Carmela ! (1990).
Cf. "Entretien avec Carlos Saura", Jeune Cinéma n° 211, novembre-décembre 1991.
* Et Rosa Rosae. La Guerra Civil (2021), un court métrage d’animation.