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Eaux profondes (1981)
de Michel Deville
publié le mercredi 1er mars 2023

par Alain Caron
Jeune Cinéma n°141, mars 1982

Sortie le mercredi 16 décembre 1981


 


Michel Deville fait partie de ces réalisateurs qui ne font pas grand tapage. Ses films, lors de leur sortie, ont souvent un large succès d’estime, mais sitôt retirés de l’affiche, ils disparaissent des mémoires. Sur notre livre d’or français, s’inscrivent tout de suite les noms de Éric Rohmer et François Truffaut, celui de Michel Deville, il faut le chercher longtemps. Il y a là une omission inexplicable. Peut-être cela vient-il de son extrême discrétion qui ne sied pas au show-business. Pourtant après Le Dossier 51 et Le Voyage en douce (1), on ne peut pas dire que Eaux profondes soit une révélation, juste la confirmation d’un grand réalisateur.


 


 

Le sujet du film est tiré d’un livre de Patricia Hightsmith, c’est un polar, mais un polar de classe. On n’ose penser ce que serait devenu le film entre les mains d’un quelconque besogneux du policier bien"de chez nous". Il faut toute la maîtrise et le métier de Michel Deville pour restituer toute la finesse de ce sujet scabreux. Par amour un homme supprime les amants veules et vulgaires de sa femme qui s’encanaille avec les aventuriers de la région. Ce qui est intéressant ce ne sont pas les meurtres en eux-mêmes, mais les raisons qui les motivent, à savoir un contrat tacite passé entre les deux époux.


 


 


 

Le couple construit ses liens sur les épreuves qu’il s’impose l’un à l’autre. La femme présente à son mari un amant que celui-ci se charge de faire disparaître par n’importe quel moyen. Allen, l’assassin est un artiste au sens de la définition de l’art donnée par Charles Bukovsky dans ses Contes de la folie ordinaire (1972) : "la réalisation d’une chose dangereuse avec style".


 


 

D’ailleurs toute la qualité du film repose sur la classe : des acteurs, ainsi Isabelle Huppert peut de dénuder sans être vulgaire, Jean-Louis Trintignant assassiner son prochain sans susciter le mépris du metteur en scène qui ne tombe jamais dans les excès auxquels un tel sujet peut donner lieu. Il ne succombe pas à la force dévastatrice des personnages mais les regarde avec un détachement qui n’exclut pas la sympathie. Il en résulte un film fascinant, terriblement racé et sensuel dans la façon de filmer, d’éclairer, de diriger les acteurs.


 


 

Eaux profondes est une réflexion amorale et vénéneuse au regard des codes en vigueur. Ce qui importe c’est de nous faire comprendre dans leur totale complexité la psychologie de deux être hors du commun. Certes aux yeux de la société, ce sont des monstres, mais ils possèdent une grâce qui les transcende et force l’admiration.

Alain Caron
Jeune Cinéma n°141, mars 1982

* Ne pas confondre avec Eaux profondes (Deep Water) de Adrian Lyne (2022), tiré du même roman de Patricia Highsmith.

1. Le Dossier 51, Jeune Cinéma n°112, juillet 1978 ; Le Voyage en douce, Jeune Cinéma n°125, mars 1980.


Eaux profondes. Réal : Michel Deville ; sc : M.D., Florence Delay, Christopher Frank d’après le roman de Patricia Highsmith (1957) ; ph : Claude Lecomte ; mont : Raymonde Guyot ; mu : Manuel de Falla ; déc : Didier Massari ; cost : Rosalinde Damamme. Int : Isabelle Huppert, Jean-Louis Trintignant, Sandrine Kljajic, Philippe Clévenot, Robin Renucci, Christian Benedetti, Jean-Michel Dupuis, Bruce Myers, Éric Frey, Jean-Luc Moreau, Bertrand Bonvoisin, Martine Costes, Évelyne Didi, Sylvie Orcier, Amélie Prévost (France, 1981, 94 mn).



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