home > Films > Au revoir les enfants (1987)
Au revoir les enfants (1987)
de Louis Malle
publié le mercredi 10 mai 2023

par Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°184, novembre-décembre 1987

Prix Louis-Delluc 1987.
Sélection officielle de la Mostra de Venise 1987.
Lion d’Or

Sortie le mercredi 7 octobre 1987


Au revoir les enfants raconte, quarante trois ans après l’événement le fragment d’une année qu’un jeune collégien vit derrière les murs d’un internat tenu par des curés. Depuis l’adieu à la mère, sur un quai de gare jusqu’à l’irruption de la Gestapo dans la classe. Louis Malle dit plus haut (1) que Zazie (2) c’était déjà la perte de l’innocence enfantine. Ici, le petit Julien découvrant comme Zazie, l’injustice et la trahison dans son petit monde d’enfant choyé pourrait nous dire : cette année-là, "j’ai vieilli".


 


 

L’impression dominante, c’est l’émotion intense qui nous saisit à la fin sans que nous ayons pu repérer sa naissance ni son cheminement. Un film dépouillé de tout formalisme, une mise en scène invisible, un montage fluide. Effacé le travail du cinéaste, des techniciens, de ses jeunes acteurs, au profit d’un récit discret et souple comme un regard qui découvre, s’attarde et se détourne. Un cinéaste classique, comme l’est Charlie Chaplin, comme l’est Luis Buñuel, un film qui laisse au souvenir des instants vifs, voix, gestes, visages, comme le font nos souvenirs personnels.


 


 


 

Ce qui fait la richesse et la quotidienneté du film : évocation de l’hiver 44 en zone occupée, rentrée des classes vécue par un interne, l’amitié entre enfants, les fêtes à l’internat, les petits complots clandestins, tout cela est tracé discrètement, à la fois comme un documentaire - dépouillement, absence de caricature et de lieux communs - et comme une confidence. Chaque motif fait bien sûr lever en nous des images de cinéma, l’adieu à la mère, les secrets des nuits, la file noire des collégiens, les profs qui jouent, renvoient à Jean Vigo, Christian-Jaque, Jean Grémillon, Édouard Niermans.


 


 

Mais les références s’écartent doucement pour laisser place aux images de Louis Malle. Ce jeune Juif qui dessine pendant la classe de grec, la course aux trésors dans la forêt, la prière nocturne aux bougies, l’humiliation du client juif au restaurant, sont des silhouettes et scènes saisies à travers le regard d’un enfant, celui de Louis Malle à douze ans.
Images précises et objectives qui évitent et la nostalgie et le ressentiment et, de ce fait, peuvent réactiver nos images à nous, pour peu que nous ayons aussi vécu l’hiver 1944 et connu les internats religieux.


 


 


 

Mais nous, spectateurs de 1987, nous avons depuis lors identifié et mesuré l’horreur. C’est avec un double regard que nous interprétons ce qui est énigme pour Julien. L’arrivée des trois nouveaux et la sollicitude des prêtres, l’éclipse du jeune pion, les réticences du nouvel ami à parler de sa famille, le sens mystérieux de l’étoile jaune et du terme "juif". Nous savons le caractère définitif de l’arrestation. Louis Malle restitue les scènes comme les a vécues l’enfant, à son niveau à lui, mais la dimension tragique elle est en nous qui, comme le cinéaste, connaissons l’issue, et peut-être, en 1987, reconnaissons certaines traces.


 


 

Il est un moment du film qu’on souhaiterait garder, tout le reste fût-il disparu : c’est la séance de cinéma et la projection aux collégiens de Charlot émigrant, les plans burlesques du bateau et les lazzi des enfants : "Eh, la grosse, elle va tomber !", le silence qui accueille la belle émigrée et la sollicitude de Charlot, l’émerveillement cadré sur Julien et son copain à l’apparition de la statue de la liberté. On ne sait plus si Louis Malle a donné l’image finale de Charlot pressé contre les barrières des services d’émigration. Charlot au pensionnat et la liberté entrevue par le petit assassiné d’Auschwitz.

par Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°184, novembre-décembre 1987

* Cf. aussi la Conférence de presse de Louis Malle à la Mostra de Venise 1987, à propos de Au revoir les enfants, Jeune Cinéma n°183, octobre 1987.

1. "Rencontre avec Louis Malle", Jeune Cinéma n°184, novembre 1987

2. "Zazie dans le métro", Jeune Cinéma n°305, octobre 2006.


Au revoir les enfants. Réal, sc : Louis Malle ; ph : Renato Berta ; mont : Emmanuelle Castro ; mu : Camille Saint-Saëns et Franz Schubert ; déc : Willy Holt ; cost : Corinne Jorry. Int : Gaspard Manesse, Raphaël Fejtö, Francine Racette, Stanislas Carré de Malberg, Philippe Morier-Genoud, François Berléand, François Négret, Arnaud Henriet, Irène Jacob, Jacqueline Staup (France, 1987, 106 mn).



Revue Jeune Cinéma - Mentions Légales et Contacts