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Miracle à l’italienne (1971) II
de Nino Manfredi
publié le samedi 25 juillet 2015

par Jean Delmas
Jeune Cinéma n°90, novembre 1975

Sélection officielle en compétition du Festival de Cannes 1971.
Prix de la première œuvre

Sorties le vendredi 21 mai 1971 et le mercredi 26 juillet 2023


 


L’Italie est à la fois le pays le plus catholique et le moins religieux. On y a toujours fait de Dieu un usage détestable, le pire qu’on puisse en faire. Dieu a toujours été recouvert par l’hypocrisie, a toujours retardé le progrès. De Galilée à la pilule.
Nino Manfredi.


 

Pourquoi cet homme a-t-il voulu se suicider ? Son histoire qui conduit au suicide est racontée à partir d’une clinique où le chirurgien opère Benedetto encore entre la vie et la mort. Un retour au cadre de la clinique vient à quatre ou cinq reprises interrompre le récit et nous fait connaître deux témoins : une jeune femme qui n’est pas l’épouse mais l’amie de l’opéré et la mère de cette femme, bourgeoise conformiste et autoritaire. Ces entr’actes donnent une ponctuation à un récit fragmenté.


 


 

Benedetto enfant : un gosse très déluré, dans un village. Il est élevé par une tante très bigotte. Il doit faire prochainement sa première communion, et le curé lui désigne saint Eusèbe comme saint protecteur. Mais en face de la religion qu’on lui prêche, il reste très nature et d’une malice naïve - "Le péché mortel, c’est ce qui fait mourir : toucher les fils électriques par exemple " ; "Pécher par la vue, par l’ouïe, par l’odorat... Comment peut on pécher par le nez ? Les mauvaises odeurs ? Mais c’est notre derrière qui les fait". Une nuit, il vient troubler les ébats de la tante avec Giovanni son amant. Giovanni caché dans un placard, apparaît, curieusement enveloppé d’un châle rutilant : la tante veut lui faire croire que c’est une apparition de saint Eusèbe. Le gosse, mal convaincu, est inquiet. Le lendemain, en pleine cérémonie de première communion, il quitte l’église en courant, se jette du haut d’un mur, mais est indemne. Les bonnes femmes crient au miracle de saint Eusèbe "qui l’a rattrapé au vol". On organise une grande procession pour remercier le saint de "la grâce reçue".


 


 


 

Une quinzaine d’années plus tard, Benedetto - le miracle a décidé de son destin - est dans un monastère comme jardinier (frère convers sans doute), conservant quelques éclairs de sa vivacité d’enfant, mais, dans l’ensemble, "demeuré". La dépersonnalisation, la superstition, l’obsession du péché ont fait des progrès en lui et le conduisent à la niaiserie. Il s’est sculpté une image fétiche grandeur nature de saint Eusèbe avec laquelle il converse. Le supérieur quand il la découvre la lui fait remiser à la cave : "C’est de l’idolâtrie, c’est ce péché-là que tu devrais confesser". Il demande à se confesser d’urgence pour avoir joué à saute mouton - en tapant sur les fesses, c’est la règle selon lui - avec les filles d’une colonie de vacances et leur monitrice.


 


 

En même temps la nostalgie d’une autre vie sur laquelle la visite d’un marchand ambulant est une ouverture : pendant que les moines admirent les marchandises, il se glisse jusqu’au volant de la voiture, le tourne et le retourne dans une sorte d’extase. Et aussi l’obsession de la femme affrontée à l’obsession du péché. Un jour il se trouve là quand la monitrice de colonie de vacances est piquée par une vipère. Il suce la morsure à la jambe pour éliminer le venin. Ce soir-là, il disparaît mais les moines sont tout ahuris d’entendre une chanson gaillarde croiser leurs cantiques et découvrent Benedetto fin saoul qui se fait entendre depuis la cave. Le père supérieur, raisonnable, juge que, décidément, il n’a pas la vocation et l’encourage à quitter le couvent.


 

Benedetto devenu marchand ambulant fait l’article (un brillant baratin) pour sa lingerie de femme et particulièrement ses "culottes de Paris". Ça se passe sur la place d’une église et un curé tonnant vient ramasser son petit troupeau. La nuit une femme vient en cachette s’enquérir des culottes de Paris. Il la fait monter dans sa voiture lui promettant de lui offrir une parure si elle vient lui tenir compagnie, et aussitôt il s’endort. Au cours d’un de ses voyages, en pleine nuit, Benedetto trouve une pharmacie éclairée, entre pour acheter un somnifère et rencontre l’étrange pharmacien Oreste qui ouvre sa boutique la nuit et dort le jour pour échapper aux servitudes de la société. Oreste, farouchement athée entreprend de délivrer Benedetto de la religion, et en même temps des tabous sexuels imposés par la religion qui ont fait de lui un impuissant, "rendu impuissant par le Tout-puissant". Il le conduit un soir chez une prostituée, mais sans résultat. Oreste a une fille, Giovanna, qui vit auprès de lui. Il a refusé le mariage, et la mère de Giovanna le poursuit de sa hargne et de sa bigotterie. Une nuit Benedetto, qui semble devenu gardien de nuit, voit arriver Giovanna doucement dans le magasin de lustrerie où il couche au milieu des luminaires. "Je veux que tu saches que nous sommes au mème point toi et moi. Si tu ne me veux pas, je m’en vais. Si tu me veux, fais moi une petite place ". Suit une scène d’amour très retenue, avec quelques touches d’ironie douce.


 

Giovanna et Benedetto vont se marier, à l’église puisqu’il n’y a pas de mariage civil en Italie. Quand le prêtre pose la question rituelle, ils restent muets, se regardent longuement, puis elle dit : "Il ne veut pas, nous ne voulons pas", et, se tenant par la main, ils traversent toute l’église, sortent et rejoignent Oreste qui, furieux, arpentait le pavé devant le porche. Mais c’est surtout à Oreste que Benedetto est uni par des liens très forts : "Il était amoureux de mon père, dit plus tard Giovanna à la clinique, il s’était attaché à lui comme un enfant, il ne pouvait pas vivre sans lui ". Oreste tombe gravement malade. La mère de Giovanna revient "comme un vautour", fait venir le prêtre qui glisse une alliance au doigt du moribond et lui administre les derniers sacrements. Oreste, qui, peu avant, disait : "Il faut faire bien attention dans ces cas-là. Si, au lieu du juron habituel, on prononce le nom de Dieu, on rentre dans le troupeau", cette fois, se soulève pour baiser le crucifix.


 


 

Bouleversé par ce reniement, Benedetto est monté sur une falaise, et quoique dérangé un instant dans son projet par le passage d’un paysan en voiture, s’est jeté dans le vide de 30 mètres de haut.


 

À la clinique, l’opération terminée, le chirurgien fait claquer ses doigts devant un œil de l’opéré, puis devant l’autre, dans un geste professionnel qui est comme le début d’un signe de croix. Benedetto entr’ouvre les yeux pour un sourire vague, et aux questions de Giovanna, le médecin répond : "Le plus dur est passé... Mais c’est un vrai miracle".


 

Avec Per grazia ricevute, Nino Manfredi, un des plus populaires parmi les acteurs italiens, passe à la mise en scène. Le film a eu un grand succès en Italie et aussi dans d’autres pays. En France, il avait été présenté au Festival de Cannes 1971 et avait été bien accueilli. Mais malencontreusement retitré "Miracle à l’italienne", ce qui laisserait supposer une comédie italienne "de série", mal lancé, il n’a eu qu’une très médiocre carrière. Tout permet d’espérer que la diffusion non commerciale est sa seconde chance (1).


 

C’est une comédie très brillamment interprétée par Nino Manfredi lui-même, mais aussi par Lionel Stander, très allègre, très spirituelle, accessible à tous les publics (au moins parmi les publics de ciné-club), mais qui a une position originale dans la comédie italienne. D’abord, la gravité du propos tend à transformer la comédie en "conte philosophique" (2). Il est ici question de l’aliénation par la religion, de la difficulté aussi, pour un homme libéré de cette aliénation, de s’assumer soi-même. Thèmes qui débordent l’ordinaire de la comédie cinématographique. En accord avec ce propos, le traitement fait en sorte que jamais une situation osée n’est présentée de manière scabreuse.


 

La scène où Benedetto vend sa lingerie féminine, sans doute le moment le plus faible du film, frôle le danger, mais sans y tomber, sans doute parce que la visite nocturne de la jeune cliente, qui suit aussitôt et éclaire le personnage de Benedetto, vient décevoir les amateurs de gaudrioles. La visite à la prostituée est traitée en ellipse. La rencontre avec Giovanna avec un mélange de franchise et de délicatesse tel que le rire en est exclu. L’oscillation entre le rire et la gravité est constant. En général, c’est le rire qui est coupé net avant de devenir rigolade. D’autres fois, c’est l’émotion qui est coupée par le rire. C’est le cas quand, après la mort d’Oreste, Benedetto, troublé, veut se désaltérer au robinet d’eau chaude, c’est le cas aussi quand un paysan ébahi vient le déranger au moment du suicide.


 

Une recherche d’exactitude dans la psychologie des personnages, y compris les psychologies religieuses comme en témoigne le comportement très estimable prêté au supérieur du couvent, écarte le simplisme dont, pour faire rire, la comédie cinématographique s’accommode trop souvent. Par instant aussi, une beauté formelle, une choralité qui dépasse aussi les normes de la comédie cinématographique : la procession d’action de grâce à saint Eusèbe, au village - la découverte de Benedetto chantant, au monastère, avec des moines à toutes les arcades du mur, comms des statues de saints dans leurs niches - l’arrivée de Giovanna dans le magasin de lustrerie un instant féeriquement illuminé, puis plongé dans un clair-obscur traversé par des reflets de verrerie.

Jean Delmas
Jeune Cinéma n°90, novembre 1975

1. La Fédération Jean-Vigo des ciné-clubs de jeunes a acquis le droit d’exploitation non commerciale du film en 1975.

2. Cf. "Miracle à l’italienne I", Jeune Cinéma n°60, janvier 1972.

* En DVD chez Carlotta.
* Cf. aussi "Conférence de presse Cannes 1971", Jeune Cinéma n°60, janvier 1972 et n°90, novembre 1975


Miracle à l’italienne (Per grazia ricevuta). Réal : Nino Manfredi ; sc : N.M., Leonardo Benvenuti, Piero De Bernardi & Luigi Magni ; ph : Armando Nannuzzi ; mont : Alberto Gallitti ; mu : Guido De Angelis. Int : Nino Manfredi, Lionel Stander, Delia Boccardo, Paola Borboni, Mario Scaccia, Fausto Tozzi, Mariangela Melato, Véronique Vendell, Fiammetta Baralla (Italie, 1971, 98 mn).



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