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Manfredi, Nino (1921-2004) & al. (e)
Conférence de presse (Cannes 1971)
publié le jeudi 27 juillet 2023

À propos de Miracle à l’italienne (1971)
Jeune Cinéma n°60, janvier 1972 et n°90, novembre 1975


 


En 1971, au Festival de Cannes, Nino Manfredi était venu avec les scénaristes Leonardo Benvenuti et Piero De Bernardi, et avec l’acteur Lionel Stander.
Le compte rendu de la conférence de presse est (à quelques phrases près) intégral. Mais l’ordre des questions, surgies au hasard, n’est pas respecté.

J.C.


 


Êtes-vous croyant ?

Nino Manfredi : Je ne suis pas croyant, je suis désespéré. J’ai reçu une très mauvaise éducation religieuse. On m’a donné des coups sur les doigts : "Ça déplaît à Jésus", Pan ! "Ça déplaît à Jésus", Pan ! ... En sorte que, à la fin, j’avais les mains grosses comme ça ! Et mois, je ne comprenais pas pourquoi et je me disais : "Pourquoi ne pas mettre le diable à la place de Jésus ? ". Parce que les choses du diable me plaisaient beaucoup plus.

Quelle a été la réaction du Vatican ?

N.M. : Le Vatican a fait une petite pause, puis a dit : "Formidable". Il y a dix ans déjà, le Vatican aurait dit : "Parlez-en bien, parlez-en mal, mais parlez-en !" C’est finalement un film contre les prêtres plutôt que contre la religion. L’Italie est à la fois le pays le plus catholique et le moins religieux. On y a toujours fait de Dieu un usage détestable, le pire qu’on puisse faire. Dieu a toujours été recouvert par l’hypocrisie, a toujours retardé le progrès. De Galilée à la pilule. L’Église a toujours, en prêchant la résignation, pris le parti des riches contre ceux qui n’ont rien.
Elle a toujours poussé à la souffrance contre la joie de vivre. Elle a toujours dit "Mourez bien", mais jamais "Vivez bien". Telle est la situation en Italie. Et c’est contre cela que j’ai fait mon film.


 

Comment avez-vous trouvé le petit Benedetto ?

N.M. : Dans une école publique où il chantait avec beaucoup d’autres garçons. Il chantait avec un air tellement triste, ce petit gars avait l’air déjà tellement abîmé... Je me suis dit que c’était l’enfant qu’il me fallait. Une bonne sœur dirigeait le chœur. Lui, il avait un morceau de pain, il chantait en mangeant : il chantait, mordait un bout de pain, chantait, mordait.

Il vous ressemble ?

N.M.  : Il est plus beau que moi.

Où le film a-t-il été tourné ?

N.M. : À Ciociaria près de Rome, en Ombrie, en Toscane.


 

Et les scènes du village ?

Leonardo Benvenuti : Elles sont tournées dans un de ces villages comme il y en a tant autour de Rome. Mais la procession, tout ça, nous l’avons inventé. Les images de la procession, nous les avons fabriquées ici au studio. Et les chansons aussi, les frères De Angelis les ont inventées mais en s’inspirant comme pour Pizzica de motifs populaires.

Le tournage a-t-il été long ?

N.M. : Plus long que la normale : près de quinze semaines. Je devais arriver sur le lieu de tournage, préparer la scène, aller me faire maquiller. Quand je revenais sur le plateau, la scène devait être remaniée. Quand elle était remaniée, mon maquillage avait fondu : il fallait le refaire et j’étais épuisé. Finalement le plus facile c’était les scènes où je ne figure pas comme acteur.

Sans mette en cause votre jeu d’acteur dans le film, on peut demander pourquoi vous n’avez pas choisi un interprète comme Marcello Mastroianni pour jouer Benedetto adulte ?

N.M. : C’était déjà tellement difficile de faire ce film... Figurez-vous qu’on m’a même demandé de jouer le petit garçon Benedetto.

Avez-vous des projets ?

N.M. : Pas comme réalisateur. Je joue le rôle de Ruzzante dans un spectacle qui a eu beaucoup de succès en Italie et qui est maintenant adapté au cinéma. Nous irons tous en prison après ce film : Fini Cannes ! C’est Gianfranco De Bosio qui est le réalisateur. De toute façon on dit que le plus difficile est de réussir le deuxième film et j’ai décidé de passer directement au troisième. Mais pouvoir faire un autre film, ce serait vraiment être miraculé.

Le film est-il autobiographique ?

L. B. : Il est né des questions posées par mes enfants. Ma mère est croyante, je ne le suis pas, je ne le suis plus. Et les enfants m’ont demandé : "Qui devons-nous croire ? Grand-mère ou toi ?". Il était extrêmement difficile de répondre, parce que tout ce qui touche à l’éducation est tellement délicat. J’ai pensé qu’au lieu de répondre, je pourrais leur raconter cette histoire. Je n’ai pas dit "Faites ceci" ou "Faites cela", mais : "Voici le problème". "Décidez vous vous-mêmes".


 

Quelle a été l’idée de départ ?

L.B. : C’était à l’enterrement de la belle-sœur de Luigi Comencini : Nino Manfredi est venu me trouver, et, très timidement parce qu’il n’avait encore jamais réalisé de film sauf un petit sketch, il m’a dit : "Je voudrais tourner un film sur quelqu’un qui donne à Dieu le père un coup de pied au cul". Et c’est à partir de là que nous avons imaginé un film sur une religion qui fait peur, qui ne parle que du péché, qui donne la peur de vivre et ne s’occupe que de la mort, qui laisse les riches, riches et les pauvres, pauvres. C’est un film qui a eu un très grand succès parce que l’Italie est un pays catholique, où l’Église est partout. Le film venait à son heure, au moment où les gens avaient besoin de se libérer. À la scène du mariage, il y a toujours dans la salle un tonnerre d’applaudissements : c’était pourtant avant la campagne pour le divorce, mais les gens sentaient déjà le besoin de voir attaquer le mariage.

Piero De Bernardi : Nous avons montré le film près de Saint-Pierre, mon Dieu ! Il y en avait bien six mille, la salle était toute noire. Quel éclat de rire, les chapeaux volaient en l’air... En France, je ne sais pas s’il aura tant de succès car les gens sont moins sous l’emprise de l’Église.

Mais votre critique ne porte pas sur le monastère ?

L.B. : Les moines, ils sont un peu enfants, un peu tombés en enfance. Oui peut-être que le film est un peu ambigu en ce qui concerne les moines. L’idée originale du film a été de faire un personnage angoissé qui ne soit pas un bourgeois ou un intellectuel, mais un homme du peuple, un paysan.

En pensant à Nino Manfredi ?

L.B. : Oui, bien sûr, Nino Manfredi il lui faut un costume sur mesures, avec tous les boutons.

P.D.B. : Ce que nous avons cherché - à l’époque c’était le premier film de ce genre - c’est une histoire dramatique qui fasse rire. Ça a été le plus difficile : produire une forte émotion et, immédiatement après, la couper net. Comme dans la scène du suicide et le gag de l’eau chaude à la mort du pharmacien.

Quel était le sens de cette construction en flash-back à partir de l’hôpital ?

P.D.B. : Il faut rappeler que Nino Manfredi était l’atout majeur du film pour les producteurs. Le film avait été conçu en trois épisodes : l’enfance, la jeunesse et l’âge mûr, et il ne devait interpréter que la vie adulte. Mais le producteur s’y est opposé et a exigé qu’il joue au moins les deux tiers. Alors, nous est venue l’idée de montrer Nino Manfredi au début du film de manière que son personnage rejaillisse sur l’enfant. Le public ne serait pas devant un enfant inconnu, il saurait que cet enfant, c’était Nino Manfredi.

L.B. : L’ambiance de l’hôpital permettait d’élargir notre propos sur la religion en montrant les bonnes sœurs de la clinique, le prêtre, etc... Et puis le flash back facilite un récit en fragments.

P.D.B. : Le film se termine sur la réflexion du médecin, "C’est un miracle". Vous vous rappelez l’expression de Nino Manfredi, quand il ouvre un œil : ce n’est pas n’importe quel acteur qui aurait pu jouer ça ! Au début il avait joué cette scène de manière dramatique, et puis, quand nous avons visionné les rushs, il a décidé de recommencer le tournage, on lui a donc refait son maquillage, les bandages, et il a joué en ton ironique.


 

Comment expliquez-vous que, à la fin, le pharmacien embrasse le crucifix ?

L.B. : C’est un homme faible : il fait profession d’athéisme, mais un vrai athée n’a pas ces problèmes. Il parle trop de Dieu : il est évident que lui aussi est tourmenté par ces choses. Il prépare une exposition sur la Divine Providence. Dans le doute il pense qu’il vaut mieux prendre ses précautions... et c’est pour cela qu’il embrasse le crucifix. Celui qui ne croit pas est faible. Et la femme- celle qu’il appelle "le corbeau " -, c’est elle qui, à la fin, le domine. Ceux qui ont la certitude ont de la chance. L’homme qui a peur, comme moi, comme nous tous qui avons peur, nous sommes à la merci de n’importe qui : ce sont toujours ces gens en noir qui nous dominent. Ils sont si forts, et nous sommes si faibles, et nous nous réfugions sous leur aile noire. Et dans le doute nous nous disons : "Je sais bien que ça n’existe pas. Mais si jamais ça existait... autant faire ce qu’il faut". Je voudrais ajouter qu’en Italie pour un "miraculé", il n’y a pas d’espoir.

Comment justifiez-vous la mort catholique du pharmacien athée ?

P.D.B. : Il le dit lui-même : l’athéisme aide à vivre, mais au moment de la mort l’inquiétude revient.

L.B. : C’est un athée étrange, il pense sans cesse à Dieu au point de passer toute sa vie à préparer son exposition sur la providence. C’est un catholique à l’envers.


 

Benedetto n’a-t-il pas envers lui un rapport de fils à père ?

L.B. : Il est véritabement amoureux du pharmacien. Comme un malade peut l’être de son médecin ou de son psychiatre, de quelqu’un qui puisse l’aider. Il a toujours eu besoin depuis l’enfance qu’on lui tienne la main. La fille, il l’aime par transfert, en fait il a épousé le pharmacien. Elle, elle est un personnage un peu comme lui, un personnage un peu perdu, très réprimée elle aussi.

Conférence de presse, Festival de Cannes 1971
Jeune Cinéma n°60, janvier 1972 et n°90, novembre 1975

* En DVD chez Carlotta.

Cf. aussi :

* "Nino Manfredi (1921-2004), une vie, une œuvre", Jeune Cinéma n°290, été 2004.

* "Miracle à l’italienne I", Jeune Cinéma n°60, janvier 1972.

* "Miracle à l’italienne II", Jeune Cinéma n°90, novembre 1975


Miracle à l’italienne (Per grazia ricevuta). Réal : Nino Manfredi ; sc : N.M., Leonardo Benvenuti, Piero De Bernardi & Luigi Magni ; ph : Armando Nannuzzi ; mont : Alberto Gallitti ; mu : Guido De Angelis. Int : Nino Manfredi, Lionel Stander, Delia Boccardo, Paola Borboni, Mario Scaccia, Fausto Tozzi, Mariangela Melato, Véronique Vendell, Fiammetta Baralla (Italie, 1971, 98 mn).



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