L’Angoisse du gardien de but est le deuxième long métrage de Wim Wenders (1) et le début de sa collaboration avec Peter Handke. Les caprices de la distribution permettent seulement aujourd’hui au grand public de découvrir cette œuvre réalisée en 1972, deux ans avant Alice dans les villes (2).

Block, gardien de but professionnel en déplacement avec son équipe, se voit expulser du terrain pour une rixe découlant d’un but litigieux. Il quitte le stade et erre dans la ville inconnue. Il fait la connaissance de Gloria, une caissière de cinéma, qu’il étrangle. Puis, la fuite se conjuguant à l’errance, il gagne un petit village situé dans le Burgenland en Autriche.

Il ne fuit pas l’enquête policière comme le ferait tout criminel en se terrant à l’abri des gens. Au contraire, il se banalise en menant une vie normale, troublée seulement par une nervosité intermittente qui trouvera son point d’orgue dans un pugilat de bar. Il se fie à ses réflexes et à sa chance de gardien de but.

Son attitude rejoint ainsi la fable de Peter Handke, dans laquelle il est dit à peu près ceci : "Un gardien de but, au moment du penalty, a beau se livrer à de multiples suppositions sur le côté de la cage vers lequel sera shooté le ballon, il devra surtout compter sur sa chance. Il y a même des gardiens qui mettent un pull over jaune pour attirer le ballon".

Block se situe dans la première catégorie de gardiens, il s’en remet à sa veine et ne tente pas d’influencer le destin par de complexes calculs. Il vit les événements comme s’il s’agissait d’un jeu. Cet aspect du personnage est souligné dans son rapport avec les objets. Il joue perpétuellement avec eux : cendrier qu’il laisse tomber d’une main et rattrape de l’autre, dessous de verre qu’il laisse s’empiler comme les disques d’un juke-box qui l’avait amusé. Le meurtre de Gloria est ressenti comme un jeu qui a mal tourné, une sorte de coup interdit dont il faut supporter la conséquence : la prison, ou dans le code de Block, le penalty.
De la même manière qu’a Block d’observer dans la vie les mêmes règles que sur un terrain de football, il découle une dénonciation du tragique dérisoire de l’existence.

Alain Caron
Jeune Cinéma n°113, octobre 1978

1. Après 8 couts métrages de 1967 à 1969, un téléfilm, Kaspar Hauser (1969), et son premier long métrage, Summer and the City (1971), inédit en France.

2. "Alice dans les villes" Jeune Cinéma n°104, juillet 1977 ; "Entretien avec Wim Wenders", Jeune Cinéma n°94, avril 1976.

L’Angoisse du gardien de but au moment du penalty (Die Angst des Tormanns beim Elfmeter). Réal : Wim Wenders ; sc : W.W. & Peter Handke, d’après son roman (1970) ; ph : Robby Müller ; mont : Peter Przygodda ; mu : Jürgen Knieper. Int : Arthur Brauss, Kai Fischer, Erika Pluhar, Libgart Schwarz, Marie Bardischewski, Rüdiger Vogler, Edda Köchl, Michael Toost (Allemagne-Autriche, 1972, 101 mn).