Jean-Claude Missiaen est mort le 22 octobre 2024. Il n’aura survécu que quelques semaines à Pierre-William Glenn (1), qui fut le chef-opérateur de ses deux premiers films, Tir groupé (1982) et Ronde de nuit (1984). Deux film noirs tendus, musclés, mais sans l’excès de testostérone à la mode au début des années 1980, lorsque le cinéma français se mit au diapason de la littérature du moment, le néo-polar des héritiers de Jean-Patrick Manchette (1942-1995), qui dépassaient souvent la violence de leur modèle sans toujours en posséder le style.
Si les films de Jean-Claude Missiaen échappaient à la surenchère, c’est parce que leur auteur, s’il n’était, à 43 ans, qu’un débutant, avait dans sa musette deux décennies et demie de cinéphilie active, alimentée aux meilleures sources. Il fit partie du petit cercle des macmahoniens (du nom du cinéma sis dans l’avenue du même nom), la chapelle la plus rigoureuse de la charnière 1959-1960, toute dévouée au culte des grands Américains, John Ford, Raoul Walsh, Fritz Lang, Joseph Losey et autre André De Toth. Rien d’étonnant à ce que ses deux premiers ouvrages aient été consacrés à Anthony Mann (1964), puis à Howard Hawks (1966), tous deux aux Éditions universitaires - personne ne s’était encore penché sérieusement sur ces deux réalisateurs.
Mais critique de cinéma, même aux Cahiers ou à L’Avant-scène, n’était pas un métier, et, comme ses deux compères du même club, Pierre Rissient (1936-2018) et Bertrand Tavernier (1941-2021), Jean-Claude Missiaen devint attaché de presse - un peu plus tard qu’eux, en 1969. Il s’en acquitta fort bien et promut les films d’une flopée de cinéastes haut de gamme, Woody Allen Federico Fellini, Joseph Losey, John Huston, John Sturges, ou Elia Kazan. Mais comme Pierre Rissient et Bertrand Tavernier, le passage à la réalisation le démangeait, et, la période étant accueillante pour la Série Noire, il parvint à tourner son premier scénario, dialogué avec Claude Veillot, Tir groupé (1982).
Le coup d’essai était remarquable - Jean-Claude Missiaen ne fit jamais mieux ensuite - et fut remarqué. Gérard Lanvin y tint son premier grand rôle, Michel Constantin était aussi rugueux qu’à l’accoutumée et Véronique Jannot ne fut jamais aussi bonne. Et surtout, le primo-cinéaste avait rassemblé, et fort bien exploité, plusieurs seconds couteaux patibulaires, Roland Blanche, Dominique Pinon et Jean-Roger Milo, dignes de leurs cousins US. La violence y était extrême mais contrôlée - il s’agit d’un des plus efficaces revenge-movies à la française, dont l’éloignement temporel n’a pas atténué la puissance.
Deux ans plus tard, en 1984, Ronde de nuit (rien à voir avec la Série Noire de Thomas M. Walsh), toujours avec Gérard Lanvin, cette fois-ci apparié avec Eddy Mitchell, quoique réussi dans son projet - le buddy-movie, ou duo de flics, n’était pas encore une tarte à la crème -, fut moins intéressant, le scénario tombant in fine dans des clichés dénonciateurs, magouille et corruption, plus convenus. Mais le film sonnait encore très américain, et la photo de Pierre-Wiliam Glenn y était assurément pour quelque chose.
Honte sur nous, mais le souvenir de son troisième titre, La Baston (1986) s’est évaporé. L’occasion de le revoir ne s’est jamais présentée, ce qui n’est pas bon signe. Il faut dire que Véronique Genest était moins glamour que Françoise Arnoul dans le film précédent et que le couple qu’elle formait avec Robin Renucci n’était guère tonique.
Jean-Claude Missiaen fit ensuite une carrière (mince) à la télévision, carrière qui nous a échappé. Mais peut-être plus que le réalisateur talentueux de Tir groupé, il reste pour nous l’auteur d’un des plus beaux ouvrages que l’on connaisse jamais offert à une actrice : le livre-album publié en 1978 par Henri Veyrier, Cyd Charisse, du ballet classique à la comédie musicale, est un grandiose hommage amoureux. Tout y est, la somme et le reste, magnifié par une galerie de photographies somptueuses, de la filmographie de l’indépassable interprète de Brigadoon (1954), de The Band Wagon (1953) et de Silk Stockings (1957). Jean-Claude Missiaen, rencontré il y a quelques années à Lyon, nous avait dit son regret de ne pas voir rééditer le livre auquel il tenait le plus, mais que l’espoir d’y parvenir persistait. Espoir déçu. Mais ses heureux possesseurs n’oublieront pas son auteur.
Lucien Logette
Jeune Cinéma en ligne directe
* Cf. aussi Jean-Claude Missiaen, Le Cinéma en héritage, Jeune Cinéma n°388-389, été 2018.
1. Pierre-William Glenn (1943-2024).